Pas d'avantage de toute nature si un intérêt conforme au prix du marché est payé

La Cour d’appel d'Anvers a rendu le 28 mai 2019 un arrêt très important qui rappelle un principe à la fois évident et oublié : pour qu’il y ait taxation d’un avantage de toute nature, il faut d’abord qu’il y ait un avantage. Lapalisse ne l’aurait pas dit autrement.


Dans l’affaire soumise à la Cour, une société avait conclu un contrat de prêt avec sa société portant un intérêt annuel de 4,5 % payé chaque année via une comptabilisation en compte-courant.


Comme il fallait s'y attendre le fisc a considéré que ce taux était de loin inférieur au taux d’intérêt de référence applicable aux prêts non-hypothécaires sans terme (tel que fixé par l’art. 18, § 3, 1, d AR/CIR). Dès lors, le contribuable gérant fut taxé sur la différence la différence entre ce taux de référence (9 % pour l’ex. d’imp. 2011) et le taux d’intérêt contractuellement convenu (4,5 %).


Cette taxation fut confirmée au stade de la réclamation. L'affaire fut ensuite portée devant le tribunal fiscal d'Anvers qui confirma la position du fisc (Trib. Anvers 23 décembre 2015).


Le dossier fut finalement soumis à la cour d’appel d’Anvers qui s'est interrogée sur la possibilité de déroger au montant d’un avantage de toute nature évalué d’une façon forfaitaire sur la base de l’AR/CIR.


Devant la Cour d'appel , la société rappela que le fisc qui a la charge de la preuve d'un avantage de toute nature n’avait pas, en l’espèce, prouvé l’existence d’un quelconque avantage, ce qui s’explique par le fait qu’on est en présence d’un prêt rémunéré accordé par une société à son gérant.


La cour donna raison au contribuable.


La Cour a jugé que le taux d’intérêt de référence prévu à l’article 18 AR/CIR qui est utilisé par l’administration ne forme qu’une simple présomption dont l’existence d’un avantage imposable de toute nature peut être déduite. Le fisc est donc parfaitement en droit de présumer l’existence d’un avantage de la différence entre les deux taux (à savoir le taux d’intérêt de référence et le taux d’intérêt réclamé par la société au contribuable).


Mais le contribuable est parfaitement en droit également d'apporter la preuve contraire et dès lors de renverser cette présomption. Aucune disposition du CIR n’empêche le contribuable d’agir de la sorte.


Le juge d’appel fonde son raisonnement sur un avis du Conseil d’Etat qui porte sur la problématique des avantages de toute nature résultant de l’utilisation à des fins personnelles d’un PC, d’une tablette, d’une connexion internet, d’un téléphone mobile ou d’un abonnement de téléphonie fixe ou mobile mis gratuitement à disposition. (Avis C.E. 18 octobre 2017, n° 62.168/3, MB 13 novembre 2017). Sans entrer dans tous les détails, cet avis indique qu'il peut être dérogé à l’évaluation forfaitaire d’un avantage de toute nature (tel que prévu par l'AR/CIR) par la preuve que la valeur réelle de celui-ci est inférieure à sa valeur forfaitaire.


Or, c’est exactement ce qui est en jeu dans l'affaire soumise à la Cour.


En démontrant que le taux d’intérêt de 4,5 % payé par le gérant était conforme au taux d’intérêt du marché (conforme à ce que propose le marché entre des parties indépendantes) et qu’il constituait dès lors une contrepartie équivalente au prêt accordé, le contribuable a bien apporté la preuve contraire.


La Cour a donc réformé le jugement rendu par le premier juge et dégrevé la cotisation litigieuse dans la mesure où un avantage de toute nature a été imposé.


Le point de vue de la Cour est donc qu'il ne peut seulement être fait usage des forfaits relatifs aux avantage tels qu'ils résultent de l'AR/CIR que lorsqu'il est réellement question d'un avantage.


Nous partageons pleinement ce point de vue et considérons que ce arrêt doit pouvoir être invoqué dans d’autres situations que celle d’un prêt consenti par une société à son dirigeant. Si un prêt ou une location est déterminé conformément aux usages du marché tel que cela se négocierait entre parties indépendantes, le fisc n’est pas autorisé à appliquer ces forfaits.


On sait que depuis toujours l’administration prétend que, pour apprécier un taux d’intérêt payé par un contribuable pour un prêt qu’il a obtenu de son employeur, il ne peut pas être tenu compte d’un taux d’intérêt conforme au marché (commercial) en lieu et place du taux d’intérêt de référence fixé par le Roi (Quest. et Rép. Chambre 1992-93, n° 74, 7122-7124). Ce postulat conduit toutefois dans bien des cas à des situations injustes lorsque la valeur réelle et contrôlable d’un avantage est inférieure à l’évaluation forfaitaire.


L’arrêt commenté présente un double intérêt : d’une part, il rappelle la nécessité d’ un avantage pour que l’administration puisse invoquer les forfaits de l’AR/CIR et d’autre part, il énonce que les règles d’évaluation forfaitaires inscrites dans l’AR/CIR peuvent être renversées.


La pertinence d’une taxation d’un avantage de toute nature pour mise à disposition « gratuite » d’immeuble peut être remise en question, en vertu des mêmes principes, lorsque la société perçoit un loyer de son dirigeant.


Il se peut en effet que le forfait (RC indexé x100/60x2) soit d’un montant supérieur à la valeur locative de l’immeuble. Le fisc refuse toutefois qu’un loyer payé par le dirigeant se substitue à cet avantage.


Nous sommes d’avis que la position de l’administration est contestable et qu’une autre interprétation pourrait être soutenue. Ainsi, dans la mesure où le loyer a fait l’objet d’une évaluation par un expert immobilier au prix du marché , il ne peut être question d’un avantage étant donné que le loyer payé par le gérant est conforme à la valeur du marché. L’article 18 AR/CIR s’intègre d’ailleurs dans la section intitulée « Evaluation forfaitaire des avantages de toute nature obtenus autrement qu'en espèces ». Or, dans l’hypothèse où le gérant verse à la société un loyer correspondant à la valeur du marché, la mise à disposition ne serait pas gratuite mais bien rémunérée.


Cette position se heurte encore et toujours à une opposition catégorique de l’administration.


Mais l’histoire est loin d’être finie et nous espérons que cette lueur d’espoir née de cette nouvelle approche jurisprudentielle infléchira une position administrative étonnement rigide.


Il est un en effet paradoxe : l’administration ne cesse de marteler partout qu’une opération n’est fiscalement acceptable que si elle répond à des besoins économiques. Or, la réalité économique justifierait que l’on puisse parfois se baser sur une valeur locative de marché, ce que refuse jusqu’à présent systématiquement le fisc. Il est temps que les règles changent.



Source : Extrait de l’ouvrage de l'ADFPC : La fiscalité du dirigeant d'entreprise : https://adfpc.be/product/les-guides-i-p-p-de-la-d-f-p-c-la-fiscalite-du-dirigeant-dentreprise/


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