Quand une preuve par vraisemblance est-elle admissible?

Une décision récente du Tribunal de première instance de Bruxelles[1]est riche en enseignements, en ce qu’elle traite de la question de la charge de la preuve et plus particulièrement de l’admission de la preuve par vraisemblance.

Preuve par vraisemblance

Rappelons que le nouveau Code civil comporte un Livre 8 consacré à la preuve, lequel prévoit des règles en matière probatoire quelque peu modernisées.

En ce sens, l’article 8.5 du Code civil dispose que : « Hormis les cas où la loi en dispose autrement, la preuve doit être rapportée avec un degré raisonnable de certitude[2] ».

Ensuite l’article 8.6 du Code civil tempère l’article précédent et prévoit la possibilité d’apporter la « preuve par vraisemblance » et renseigne que « Sans préjudice de l’obligation de toutes les parties de collaborer à l’administration de la preuve, celui qui supporte la charge de la preuve d’un fait négatif peut se contenter d’établir la vraisemblance de ce fait. La même règle vaut pour les faits positifs dont, par la nature même du fait à prouver, il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger une preuve certaine ».

Partant, la preuve doit en principe être apportée, non pas avec une certitude absolue, mais avec un degré raisonnable. Toutefois, s’il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger un tel degré de certitude, le fait invoqué pourra être prouvé par vraisemblance.

Opération de spin-off

Le cas d’espèce concernait une opération dite de « spin-off » réalisée par une société néerlandaise et donnant lieu à une scission entre les activités européennes et américaines.

Dans le cadre de cette opération, la société néerlandaise a d’abord apporté certaines activités à une société américaine nouvellement constituée et ensuite, a distribué à ses actionnaires des actions de la société américaine reçues en contrepartie de l’apport effectué.

Parmi les actionnaires figure un contribuable belge dont les actions reçues étaient enregistrées sur un compte-titres ouvert auprès d’une banque belge. Cette dernière avait prélevé le précompte mobilier calculé au taux de 30 % sur le montant des actions reçues.

Le contribuable a dès lors introduit une action auprès de l’administration fiscale en vue du remboursement du précompte mobilier indument prélevé, mais sans succès et partant, a été contraint d’introduire une action en justice.

Il en résulte que la question de l’imposition de cette distribution d’actions réalisée par la société néerlandaise se pose dans le chef des actionnaires et à plus forte raison en l’espèce, dans celui du contribuable belge.

Le contribuable belge soutenait qu’il s’agissait d’un remboursement de capital prélevé sur les primes d’émission de la société néerlandaise et par conséquent, que l’opération devait être exonérée dans son chef. ​

Partant, la preuve doit en principe être apportée, non pas avec une certitude absolue, mais avec un degré raisonnable.

En pareilles circonstances, l’art. 18 CIR/92 prévoit l’exonération d’un remboursement de prime d’émission lorsque ces primes sont assimilées à du « capital libéré » pour autant qu’il soit démontré que les conditions d’application sont remplies. C’est sur ce point que se situait la pierre d’achoppement du litige.

En l’espèce, le contribuable belge, en tant qu’actionnaire minoritaire d’une société étrangère, n’avait accès qu’à un nombre limité d’informations et de documents.

Toutefois, le contribuable avait, notamment, été en mesure de transmettre à l’administration fiscale belge, le rapport annuel des comptes ainsi qu’un rapport établi par l’autorité fiscale suisse renseignant que l’opération devait être traitée comme un remboursement de capital et partant n’était pas taxable.

L’administration belge ne s’est pas montrée satisfaite des informations prodiguées et a souhaité obtenir des preuves supplémentaires, dont notamment, la comptabilité complète de la société hollandaise, ce qui n’est pratiquement pas réalisable.

Le contribuable a toutefois tenté de collecter ces données confidentielles et sensibles auprès de la société mais, tel que l’on pouvait s’y attendre, sans succès. Celui-ci a même proposé à l’administration de prendre directement contact avec le groupe pour obtenir les informations requises.

Le tribunal a reconnu cette difficulté probatoire et a admis l’application de l’article 8.6 du Code civil, consacrant la « preuve par vraisemblance » pour déclarer la demande fondée et reconnaitre l’exonération du revenu perçu.

Cette jurisprudence ainsi que d’autres décisions récentes en matière de précompte professionnel pour des activités de R&D et d’exonération de revenus luxembourgeois[3] illustrent de manière appréciable l’application du régime de la preuve par vraisemblance dans le domaine fiscal.

En définitive, cette jurisprudence fournit des arguments solides, opposables à l’administration fiscale, lorsque les preuves s’avèrent particulièrement difficiles à obtenir, tel que cela est fréquemment le cas concernant pour des contribuables belges percevant des revenus d’origine étrangère et qui sont dans l’incapacité d’en déterminer toutes les composantes avec précision.

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[1] T.P.I., Bruxelles, chambre francophone, 29/02/2024, RG n° 22/211/A.

[2] Nous soulignons.

[3] T.P.I., Brabant wallon, 17/02/2023, RG n°21/518/A et T.P.I., Brabant wallon, 18/09/2023, RG n°22/77/A.

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