Le ministre des finances a présenté le 1er mars dernier son projet pour la première phase de réforme fiscale.
Force est de reconnaître que ce projet a entretemps fait l'unanimité contre lui.
Plusieurs raisons expliquent cette opposition qui était largement prévisible
le peu de concertation avec les stakeholders, considérés systématiquement et de manière péjorative comme des "lobbyistes". Avec pour conséquence, une réforme "top - down" élaborée du haut d'une tour d'ivoire inaccessible. Voilà pourtant une méthode qui n'est plus acceptée au 21ème siècle. Aujourd'hui, il faut de la transparence, un véritable dialogue dans les deux sens, des explications convaincantes et beaucoup de participation des stakeholders pour créer une adhésion. La réforme "académique" qui a été présentée a oublié de prendre en compte qu'elle s'adresse à des personnes réelles, qui vivent dans la vie réelle et ont une histoire (et donc des attentes) réelle(s)
la croyance qu'un "tax shift" est encore possible dans le pays où non seulement le travail est le plus taxé au monde, mais où les autres facteurs - à savoir le capital et la consommation le sont tout autant (seul le PTB et le PS ne l'ont toujours pas compris)
la croyance qu'une "redistribution" est encore possible à charge des moyens et hauts revenus qui sont déjà les plus taxés au monde. Avec un coin salarial variant entre 60% et 67,5%, force est de considérer que le 1er mai est devenu en Belgique la fête du "travail forcé". Si 2/3 du coût salarial sont absorbés par le budget de l'état, c'est en effet à partir du 1er mai que 100% de la rémunération du travail est due à l'état. Du jamais vu dans l'histoire fiscale !
un focus sur les symptômes du problème plutôt que sur les causes. En Belgique, on fixe d'abord les dépenses et puis on recherche des recettes toujours plus nombreuses et élevées pour tout financer. Parmi ces recettes, la moins visible a été la beaucoup trop faible indexation des barèmes fiscaux depuis 1962. Lorsqu'on indexe ce barème en tenant compte de l'inflation calculée par la Banque Nationale depuis 1962, on ne peut qu'être profondément choqué par l'écart envers les tranches d'imposition actuelles et celles de l'époque. Aujour'hui, on est taxé à 40% à partir d'un revenu annuel imposable de 15.200 euros (coin salarial de 60%), alors qu'en 1962, ce taux n'aurait été appplicable qu'à partir de 99.000 euros, ce qui correspond au barème existant dans la plupart des pays civilisés
une emplâtre sur une jambe de bois comme solution: l'augmentation de la quotité exemptée, ce qui a pour conséquences (1) que le barème reste inchangé, avec un taux de 40% qui continuera à s'appliquer à partir de 15.200 euros et (2) qu'il faudra continuer à recourir à des expédients comme le bonus à l'emploi pour éviter au bas salaires de "tomber" dans la fiscalité normalement applicable (ce qui crée automatiquement des pièges - inévitables - à la promotion). Pour rappel, pour obtenir exactement le même résultat qu'avec l'augmentation proposée de la quotité exemptée, il sufit d'élargir la tranche imposée à 25% de ... 5.567 euros. Mais c'est visiblement trop simple que pour y avoir pensé ... bien que cela constituerait enfin un premier pas dans la bonne direction, à savoir une réforme du barème
une vision très partielle du régime fiscal des rémunérations, tel qu'il découle notamment du tax shift de 2015 (la seule fois en 15 ans où l'IPP sur les revenus du travail avait effectivement diminué - une diminution entretemps largement annulée par la trop faible indexation du barème d'imposition). Pour rappel, outre la quotité exemptée de 10.160 euros, il faut également tenir compte de la déduction des frais professionnels forfaitaires (qui n'ont plus rien à voir avec des frais, mais constituent plutôt une "déduction pour l'emploi") de 5.040 euros. Le hasard fait bien les choses : 10.160 + 5040 = 15.200 ... à savoir l'équivalent de la première tranche d'imposition à 25%
des mesures de financement qui sont majoritairement différentes - sans aucune explication - de celles présentées en juillet 2022 dans le rapport Delanotte (qui n'était pas soutenu par tous les experts) et dans l'épure du ministre des finances. Ces mesures de financement ont entretemps fait l'unanimité contre elles, et celles qui étaient inévitables (l'impôt minimum) ont été "capturées" pour combler le trou budgétaire (il en va ainsi généralement en Belgique de toute mesure de compensation naïvement proposée avant d'avoir obtenu un accord politique préalable sur son affectation ...)
... (- voir également mes très nombreux posts articles précédents)
En conséquence, il faut radicalement changer l'objectif de la réforme
La priorité doit être de réformer le barème d'imposition en tenant compte d'une inflation plus correcte et en l'alignant sur celui de nos pays voisins et des autres pays civilisés, par exemple en:
introduisant une tranche taxée à 0% (l'actuelle quotité exemptée)
élargissant les tranches d'imposition, en commencant par celles taxées à 25% à 45% (bas et moyens salaires)
réduisant le taux de 40% à 35%
maintenant éventuellement le taux de 50% (qui est plus élevé que dans tous les autres pays comparables)
Une telle réforme permettrait réellement de moderniser et de simplifier la taxation des revenus sur le travail en rendant inutiles les "emplâtres" pour atténuer l'impact fiscal sur les basses (ex: bonus à l'emploi") et moyennes et hautes rémunérations (ex: certaines formes alternatives de rémunération dont le seul objectif est de réduire la pression fiscale - à ne pas confondre avec les instruments HR indispensables pour atteindre d'autres objectifs).
Et si l'on compare les salaires nets en Belgique avec ceux des pays voisins, on est frappé de constater que les revenus nets y sont plus élevés quelle que soit la tranche de revenu concernée. Comme quoi, un bon barème d'imposition, à la progressivité bien pensée, permettrait d'éviter toute la complexité de la fiscalité belge ... tout en augmentant le revenu net de tous nos concitoyens (qu'il faut cesser d'opposer entre eux comme la gauche le fait systématiquement).
Les pistes de financement à privilégier sont connues.
Il reste à les utiliser:
réduire les dépenses en recentrant l'état sur ses tâches essentielles;
réaliser les réformes structurelles demandées par toutes les autorités européennes et internationales;
augmenter le taux d'emploi, en particulier en remplaçant la politique actuelle d'assistanat par une politique d'activation responsable;
investir dans la compétitivité, source des revenus futurs.