Depuis 2003, les entreprises qui occupent des travailleurs qui travaillent en équipe bénéficient d’un avantage fiscal sous la forme d’une dispense partielle de versement de précompte professionnel. En substance, il suffit que deux équipes d’au moins deux travailleurs se succèdent pour effectuer le travail, et que ceux-ci bénéficient, à ce titre d’une prime. L’avantage fiscal est augmenté si le travail est effectué en continu (quatre équipes d’au moins deux personnes, travaillant la semaine et le week-end, sans interruption notable). Le pourcentage de la dispense a été augmenté par les gouvernements successifs, alors que des voix se faisaient entendre pour déplorer le manque de clarté du régime, conduisant à des contrôles produisant des effets divergents.
Ains, l’une des conditions pour bénéficier du régime favorable était que le travail réalisé en équipe soit le même dans son objet et son ampleur. Dans la pratique, en cas de contrôle, l’administration fiscale faisait preuve de tolérance et maintenait le bénéfice du régime en cas de modifications peu importantes de l’ampleur du travail (succession d’équipes prestant plus ou moins d’heures de travail les unes par rapport aux autres). Dans son arrêt du 8 février 2024 (21/2024), la Cour constitutionnelle a validé une interprétation pointilleuse de la législation : une stricte équivalence de l’ampleur du travail réalisé par les équipes successives serait bien requise. Cette décisionest de nature à remettre en cause la tolérance précitée et a provoqué l’émoi des entreprises ayant fait appel au régime.
Le 20 mars dernier, le gouvernement a donc décidé d’adopter une mesure législative temporaire en vue de pallier les conséquences potentiellement néfastes de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. La nouvelle mesure introduit un régime alternatif (« Régime bis ») qui permettra aux entreprises de conserver une partie de l’avantage fiscal, même s’il y a des variations dans l’ampleur du travail des équipes se succédant. L’avantage sera accordé à concurrence d’une proportion tenant compte de ces variations. On mesurera les écarts d’ampleur du travail entre les différentes équipes et l’avantage fiscal sera réduit à concurrence de ces différences (seulement). Les variations n’auront donc pas pour effet d’exclure purement et simplement l’entreprise du régime.
La loi modifiée devra être publiée dans le courant du mois de mai. Toutefois, ce Régime bis sera rétroactif : il sera applicable aux rémunérations payées à partir du 1er janvier 2021, afin de protéger pour le passé les entreprises des effets potentiellement néfastes de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Les autres conditions légales restent inchangées, en particulier le fait que le travail doit être le même dans son objet. Quant au régime actuel, il sera maintenu, mais l’administration fiscale recevra des instructions (fondées sans doute sur les travaux préparatoires de la nouvelle loi) selon lesquelles aucune interprétation restrictive ne doit y être apportée ; ainsi, les tolérances actuelles constatées en pratique, relative à l’ampleur du travail des équipes successives, pourront être conservées. Dans quelles limites ? En pratique on observait une tolérance de 10 à 15 %. Les travaux préparatoires de la loi introduisant le Régime bis mentionnent plutôt 5 %. Ce Régime bis ne sera toutefois que provisoire : il ne sera valable que jusqu’au 31 décembre 2026. Le législateur futur devra donc se positionner pour maintenir ou modifier le nouveau régime ou encore ne pas le prolonger après son terme.
Par voie de simplification, l’entreprise ne devra pas opter pour l’un ou l’autre régime en indiquant un code particulier dans sa déclaration au précompte professionnel : elle indiquera un montant de dispense plus ou moins élevé selon que dans les faits elle revendique l’application de l’un ou l’autre régime.
Pour les entreprises concernées, cette mesure est un soulagement. Mais elles devront déterminer si la pratique qu’elles ont mise en place est conforme au régime actuel suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle (avec le maintien, donc d’une certaine tolérance). Dans l’affirmative, leur droit à la dispense complète est sauf. Dans la négative, le Régime bis, éventuellement appliqué rétroactivement (p.ex. à l’occasion d’un contrôle) leur permettra de conserver le bénéfice de l’avantage fiscal, mais alors dans une proportion diminuée.
Olivier Bertin
Partner, Bird&Bird