Résidence fiscale : pourquoi le "siège de la fortune" reste un critère important?

Le Service des Décisions Anticipées (SDA) a rendu une décision sur la question de la résidence fiscale d’un couple marié (voy. décision anticipée n° 2023.0887 du 19 décembre 2023). Cette décision est particulièrement intéressante puisqu’elle décide que chacun des époux a une résidence fiscale différente.

Monsieur X, de nationalité française et belge, travaille 40% en Belgique et 40% en France à compter de septembre 2023. Il répartit son temps entre les deux pays mais s’est fait radier du Registre national belge. L’essentiel de son patrimoine se compose de participations dans une société belge et dans des sociétés luxembourgeoises, d’options sur titres et de biens immobiliers à l’étranger.

Madame Y, de nationalité belge, est administratrice de différentes sociétés et possède plusieurs immeubles en Europe, via ces sociétés, dont le siège est belge. Elle est inscrite au Registre national belge et résidait, avant septembre 2023, en Belgique. Toutefois, à compter de 2023, le couple et sa famille décident d’habiter en France. Afin de gérer son patrimoine, Madame revient régulièrement en Belgique (3-4 jours toutes les deux semaines) et elle revient également pour les fêtes de famille, ses proches y habitant.

En résumé, le couple et sa famille nucléaire résideront en France et auront des liens personnels tant avec la Belgique que la France, mais ces liens seront d’autant plus forts en France, puisqu’ils s’y installeront de façon permanente.

Pour rappel, l’article 2, § 1er, 1°, alinéa 2 du CIR 92 instaure une présomption légale réfragable qui qualifie d'habitant du Royaume la personne qui est inscrite au Registre national belge des personnes physiques.

L’article 2, § 1er, 1°, alinéa 3 du CIR 92 précise que le domicile fiscal des personnes mariées est fixé à l’endroit où est établi le ménage. Le commentaire administratif (Circulaire Ci.RH.241/585.607 (AFER 19/2007) du 12 juillet 2007, point 29) établit une présomption irréfragable (sauf application d’une convention préventive) du domicile fiscal là où le ménage est établi lorsque cela concerne des personnes mariées (concept « d’unité familiale »). Cette présomption est toutefois rattachée au critère du « domicile ». Pareille présomption n’existe pas pour le critère du « siège de la fortune ».

En effet, une personne pourrait être résidente fiscale belge si le siège de sa fortune se trouve en Belgique, même si son domicile n’est pas en Belgique. Le "domicile" et le "siège de la fortune" constituent deux critères alternatifs permettant d'établir la qualité d'habitant du Royaume au sens du Code des impôts sur les revenus 1992 (commentaire administratif n° 3/4).

En l’espèce, il est clair que le siège de la fortune de Madame se trouve en Belgique, puisque cette fortune est abritée par des sociétés dont le siège se situe en Belgique et dont elle est administratrice. Elle est d’ailleurs amenée à s’y rendre régulièrement, précisément en vue de gérer son patrimoine.

Ce n’est par contre pas le cas de Monsieur, qui réside en France et ne fait « que » travailler 40% du temps en Belgique. Le siège de sa fortune se situe à l’étranger et le centre de ses intérêts vitaux est en France. Son domicile fiscal est incontestablement en France.

De façon générale, le ménage possède son foyer en France, et cela est confirmé par le SDA. Mais le siège de la fortune de Madame se trouve en Belgique.

Reprenant les termes du Ministre lors des travaux préparatoires, le SDA confirme tout d’abord que la présence d’un couple marié n’empêche pas de prendre en compte le critère du « siège de la fortune » pour apprécier la résidence fiscale des contribuables.

Ensuite, le SDA applique ce critère et tranche :

  • Monsieur n’est pas résident fiscal belge, n’ayant ni son domicile, ni le siège de sa fortune en Belgique.
  • Madame est bien résidente fiscale belge, ayant le siège de sa fortune en Belgique, même si elle n’y a pas son domicile, et même si son époux n’y a pas son domicile.

Il est toutefois important de soulever que le SDA prend connaissance d’autres aspects relatifs à la situation de Madame, outre l’endroit où se trouve son patrimoine : une partie de sa famille et ses proches vit en Belgique, de sorte qu’elle y garde une attache importante et qu’elle compte d’ailleurs s’y rendre tout au long de l’année et pour les fêtes. On voit donc une attache, outre pécuniaire, affective avec la Belgique dans le chef de Madame. Le SDA considère que ces liens, purement affectifs, sont déterminants également dans la qualification du « siège de la fortune » de Madame.

Cette décision fait preuve de souplesse, et est en adéquation avec la société actuelle : deux personnes mariées peuvent avoir des résidences fiscales distinctes et il possible de passer au-delà du concept d’unité familiale ancré dans notre droit fiscal belge, qui reflète l’idée d’un modèle familial plus traditionnel.​

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