Dans une contribution précédente, nous faisions état du recours dont a été saisie la Cour constitutionnelle en 2023 à propos de la compatibilité de la dispense de versement du précompte professionnel dans le cadre du régime du travail en équipe avec le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution en ce sens que seules les entreprises dans lesquelles les équipes font le même travail, tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur, peuvent bénéficier de la dispense, alors que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses et les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes est comparable mais pas identique sont exclues de la dispense.
Rappelons à cet égard que, selon les secteurs d’activité, l’ampleur du travail peut varier d’une équipe à l’autre en raison de facteurs externes comme les heures de la journée, la météo, etc. La question s’est donc posée de savoir si cette variation d’ampleur de travail était de nature à priver l’employeur du bénéfice de la dispense partielle de versement du précompte professionnel. Comme la loi n’a pas défini les notions d’« objet » et d’« ampleur » de l’activité, les cours et tribunaux ont tenté de dégager des solutions tandis que l’administration fiscale a de son côté publié une circulaire par laquelle elle a confirmé que la notion de « même travail en termes d’ampleur » devrait être appréciée au niveau des équipes et pas sur la base des activités individuelles des travailleurs qui font partie de l'équipe (Circulaire 2019/C/42 relative à la dispense de versement du précompte professionnel pour le travail en équipe et de nuit).
C’est dans ce contexte qu’une entreprise qui fournit des services d’assistance en cas de panne de voiture et une entreprise qui exploite des bus et des cars ont fait usage de la dispense de versement du précompte professionnel pour travail en équipe. L’administration fiscale a néanmoins estimé que ces entreprises ne satisfaisaient pas à la définition de travail en équipe continu de sorte que l’avantage fiscal leur a été refusé. Après avoir saisi le tribunal de première instance d'Anvers et ensuite la Cour d’appel d’Anvers qui ont successivement fait droit à la thèse de l’administration fiscale, les entreprises concernées ont finalement introduit un recours en cassation, qui à son tour s’est interrogée sur une éventuelle discrimination puisqu’il lui est apparu évident que, à suivre la thèse de l’administration, bon nombre d’employeurs se trouveraient exclus du bénéfice de ce régime. Elle donc posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Celle-ci a rendu son arrêt. Ainsi après rappelé que le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée, la Cour a relevé qu’il existe un critère de distinction objectif pour l’application de la dispense, à savoir « le caractère identique ou non de l’ampleur du travail effectué par les équipes ». Ensuite, la Cour a examiné l’objectif de l’avantage fiscal, qui est de compenser les frais supplémentaires liés au travail en équipe mais également de renforcer la compétitivité des entreprises qui recourent au travail en équipe. Enfin, la Cour a relevé que la condition du « même travail » poursuit un double objectif : d’une part, éviter que des employeurs réorientent leur organisation du travail vers un travail en équipe dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal et, d’autre part, contenir le coût lié à la mesure.
En conclusion, il n’est pas déraisonnable pour la Cour que seules les équipes effectuant un travail de même ampleur bénéficient de la dispense, alors que les équipes n’effectuant pas un travail de même ampleur mais d’ampleur comparable n’en bénéficient pas (arrêt n°21/2004 du 8 février 2024).
Sous réserves de l’arrêt encore à rendre par la Cour de cassation, il est manifeste que cet arrêt doit amener les entreprises concernées par le travail en équipe à réévaluer leur droit à bénéficier de la dispense de versement du précompte professionnel.