Vente d'un goodwill et transmission d'entreprise : éviter le piège de la taxation étalée!

La transmission d'une entreprise organisée sous la forme d'une société peut se réaliser de différentes manières. On peut envisager soit une cession du fonds de commerce (vente d’actifs ou « asset deal »), soit une cession des actions de la société qui exploite l’entreprise (« share deal »). Les incidences fiscales de ces deux modes de transfert sont radicalement différentes. Que faire sans risque?



L'existence de deux régimes de taxation

La plus-value réalisée lors d’une vente d’actions est susceptible d’être exonérée d’impôt sur les revenus chez le vendeur. En revanche, lorsqu’une société cède ses actifs, l’intégralité de la plus-value est en principe taxable immédiatement à l’impôt des sociétés au taux de 29,58% (25% à partir de 2020). Aussi, à l’occasion de transferts d’une certaine ampleur, la trésorerie de la société cédante peut se voir grevée d’une charge financière supplémentaire considérable.


Il va de soi que la dette fiscale peut être réduite – voire rabaissée à zéro - dans l’hypothèse où la société cédante dispose de déductions fiscales. On songe notamment à la déduction de pertes fiscales reportées, d’excédents de RDT, de « transferts intra-groupe » (nouvelle consolidation fiscale « à la belge », en vigueur depuis le 1er janvier 2019), etc.


Eponger la plus-value?

Quid lorsque ces déductions fiscales ne sont pas suffisantes pour éponger la plus-value imposable ? En pareille hypothèse, l’application du mécanisme de taxation étalée peut constituer une véritable bouée de sauvetage. Il autorise le report de la taxation des plus-values réalisées sur des biens qui ont la nature d’immobilisations corporelles ou incorporelles depuis plus de cinq ans, sous condition de remploi. Autrement dit, cette mesure permet d’éviter la taxation immédiate de l’intégralité de la plus-value : la société subira l’impôt de façon étalée, au rythme des amortissements pratiqués sur les biens acquis à titre de remploi (par exemple sur 33 ans, en cas de remploi dans un bâtiment). Il ne faut toutefois pas crier victoire trop vite. Comme le montre la jurisprudence récente, la mise en œuvre de ce régime de faveur, dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, ne laisse pas de soulever des difficultés. Le problème se pose particulièrement lors de la cession d’actifs incorporels, tels que le goodwill et la clientèle.



Des amortissements admis fiscalement

Suivant la loi fiscale, pour que les plus-values réalisées sur des immobilisations incorporelles bénéficient de l’étalement de la taxation, il faut, notamment, que les immobilisations concernées aient été activées et aient fait l’objet d’amortissements admis fiscalement. C’est là que le bât blesse.


Cette exigence légale exclut en pratique les immobilisations incorporelles produites par l’entreprise elle-même, comme par exemple la clientèle constituée par la société : celles-ci ne peuvent en effet qu’exceptionnellement être activées selon la législation comptable.


Pire encore : même lorsqu’une entreprise a acquis des immobilisations incorporelles (lesquelles figurent alors à l’actif de son bilan), elle peut se voit refuser le régime de taxation étalée plusieurs années plus tard, lors de la transmission de son fonds de commerce. Il en va particulièrement ainsi lorsque les immobilisations incorporelles ont été complètement amorties.



Nouvelle clientèle ou clientèle acquise?

Dans l’espèce ayant donné lieu à un arrêt du 6 novembre 2018 de la Cour d’appel d’Anvers, une société avait acquis un goodwill (clientèle d’une pratique dentaire) pour 85.000 EUR en 2001. Ce goodwill avait été amorti sur 10 ans. En 2012, la société de dentistes avait revendu sa clientèle pour 500.000 EUR, réalisant à cette occasion une jolie plus-value. Le fisc – suivi par les magistrats anversois – priva la société du droit de faire taxer de façon étalée la plus-value. L’argument décisif : celle-ci portait sur une « nouvelle » clientèle constituée par la société (ne figurant pas à l’actif du bilan), et non sur l’ «ancienne » clientèle qui était complètement amortie et qui avait donc disparu. Selon la Cour, les éléments suivants venaient renforcer ce constat : la modification du nom de la pratique dentaire, l’arrivée dans la société de 4 nouveaux dentistes, l’évolution de la clientèle,…


Cette décision me paraît critiquable car elle méconnaît la nature évolutive et fluctuante de la clientèle. Il faut toutefois en tenir compte en pratique, car de nombreuses juridictions se sont déjà prononcées dans le même sens par le passé…

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