VVPRbis & apport de créances : quels enseignements du nouvel arrêt de la Cour constitutionnelle ?

I. Introduction

Le régime du VVPRbis permet sous certaines conditions aux actionnaires (personnes physiques) de bénéficier d’un précompte mobilier réduit à 15% sur les dividendes distribués par une société[1].

Concrètement, les actionnaires concernés pourraient percevoir, via leur société, les revenus de leur activité moyennant un ratio brut/net allant jusqu’à 68% et sans cotisations sociales. Pour rappel, une rémunération « classique » est soumise au taux progressif susceptible d’atteindre jusqu’à 50% et aux cotisations sociales.

Pour l’indépendant en société, le VVPRbis est ainsi un des mécanismes d’optimisation fiscale les plus efficace actuellement, d’autant qu’il est très simple à mettre en place et qu’il présente un risque fiscal très faible : il « suffit » de remplir les conditions du régime, de se distribuer un dividende, et de revendiquer dans la déclaration au précompte mobilier le taux de taxation favorable de 15%.

II. Exclusion des apports en nature

Une des conditions pour bénéficier du régime du VVPRbis est que l’actionnaire ai obtenu les actions de la sociétés en contrepartie d’« un apport réalisé en numéraire » (cad qu’il doit apporter du « cash » à la société lors de sa constitution ou lors d’une augmentation de capital ultérieure).

Les apports en nature (ex : un apport d’action ou un apport d’immeuble).

Pourquoi cette exclusion des apports en nature ? Car (i) l’objectif du régime est d’inciter les actionnaires à capitaliser leurs sociétés via un apport d’argent et (II) les apports en nature sont davantage susceptibles d’abus que les apports d’argent (ex : un immeuble peut être « survalorisé » alors que 1€ = 1€).

Lorsqu’un actionnaire dispose d’une créance sur une société, il peut tout à fait apporter cette créance à cette société dans le cadre d’une augmentation de capital. Le Ministre des Finances a estimé qu’un apport de créance doit être considéré comme un apport en natureet était donc exclu du régime du VVPRbis.

III. Position du problème

Voici Messieurs Dupont, Petit, et Legrand, qui vont tous 3 augmenter dans des situations différentes le capital de leur société pour un montant de 10.000€ et recevoir 100 actions en contrepartie.

  • M. Dupont augmente le capital de sa société par un apport en numéraire des 10.000€ (apport de cash) ; les 100 actions pourront bénéficier du VVPRbis (si autres conditions sont réunies);
  • M. Petit a prêté de l’argent (10.000€) à sa société en 2024. Il dispose ainsi d’une créance sur sa société (elle est inscrite en compte courant (« CC »)). En 2025, il se fait rembourser les 10.000€ par la société et il décide immédiatement après d’augmenter le capital par un apport en numéraire des 10.000€ qu’il vient de recevoir suite au remboursement ; les 100 actions peuvent normalement (sauf abus fiscal) bénéficier du VVPRbis (si autres conditions sont réunies);
  • Comme M Petit, M. Legrand a prêté 10.000€ à sa société en 2024. Mais à la différence de M. Petit, M. Legrand décide d’augmenter le capital de la société en lui apportant directement sa créance de 10.000€ (au lieu de se la faire rembourser au préalable puis d’apporter à la société les liquidités issues du remboursement). Les 100 actions ne pourront PAS bénéficier du VVPRbis car le fisc considère qu’il s’agit d’un apport en nature et pas en numéraire ;

Conclusion : M. Legrand est traité de manière défavorable par rapport à Messieurs Petit et Dupont et ce, uniquement parce qu’il a apporté une créance (issue d’un prêt d’argent) et pas de l’argent (directement).

Pourtant, le résultat est le même dans les 3 cas pour la société (elle a reçu 10.000€ dans les 3 cas). De plus, M. Legrand aurait -sauf abus- pu bénéficier du régime VVPRbis s’il s’était fait rembourser sa créance au préalable par la société, pour ensuite apporter l’argent issu du remboursement à la société (comme l’a fait M. Petit).


IV. L’arrêt de la constitutionnelle du 16/01/2025 :

Un contribuable avait libéré le capital de sa société via une compensation avec son compte courant (situation similaire à celle de M. Legrand) et s’était vu refuser pour ce motif le régime du VVPRbis (apport en nature et pas en numéraire).

Il a contesté la position du fisc devant les tribunaux (TPI de Liège), qui ont posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle afin de déterminer si l’exclusion des apports de créances était conforme à la constitution (principe d’égalité et de non-discrimination).

La Cour constitutionnelle a décidé dans son arrêt du 16.01.2025 qu’il n’y avait pas de discrimination (résumé des motifs : une créance sur une société n’est pas nécessairement issue d’un prêt d’argent -une créance peut par ex. être issue de la vente d’un bien à la société avec paiement différé du prix par la société-; et donc l’objectif du législateur n’est pas nécessairement rempli n’est pas nécessairement évité).

V. Analyse critique

  • Selon moi, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ne va pas assez loin dans son analyse : l’arrêt se penche sur les apports de créance en général (comme expliqué, un créance peut résulter de plusieurs opérations, par exemple une vente d’actif avec paiement différé du prix) ; la cour ne traite pas la question des créances spécifiquement issues d’un apport de liquidités. Une nouvelle question préjudicielle devrait être posée selon moi (tout n’est pas encore perdu pour M. Legrand).
  • Conseil 1 : les contribuables prendront exemple sur M. Petit : d’abord se faire rembourser leur créance puis apporter l’argent obtenu suite au remboursement ; important : il sera prudent de s’assurer qu’il n’y a pas d’abus fiscal.
  • Conseil 2 : pour M. Legrand, tout n’est pas perdu : il pourra bénéficier d’un autre régime de taxation avantageux des dividendes ; il pourra en effet à certaines conditions avoir recours à une réserve de liquidation ; il pourrait dans ce cas bénéficier d’un taux d’imposition encore plus favorable que celui du VVPRbis (pour faire simple : 13,64% voir 10% dans certains cas).


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[1] Art. 269, §2 CIR.

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