L’application des taux réduits de précompte mobilier aux dividendes VVPRbis, régie par l’article 269, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992), est strictement encadrée. Cette disposition impose que ces dividendes proviennent exclusivement d’apports en numéraire, écartant ainsi les apports en nature, notamment les créances en compte courant.
Cette différence de traitement a conduit le Tribunal de première instance de Liège à poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle : cette distinction respecte-t-elle les principes d’égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ?
Le 11 janvier 2024, le Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, a soumis à la Cour constitutionnelle la question de savoir si l’article 269, § 2, du CIR 1992, en excluant les apports en nature des conditions d’octroi du taux réduit de 15 % sur les dividendes, créait une discrimination contraire aux principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination.
En effet, selon cette disposition, seuls les dividendes issus d’actions acquises grâce à des apports en numéraire entièrement libérés peuvent bénéficier de ce taux réduit. En revanche, les dividendes provenant de parts financées par des apports en nature – comme l’apport d’une créance en compte courant – en sont exclus, malgré l’absence de risque manifeste d’abus ou de surévaluation.
Le Tribunal avait relevé notamment qu’un dirigeant, en scindant l’opération (remboursement de la créance suivi d’un apport en numéraire), aurait pu contourner cette exclusion et obtenir le bénéfice du taux réduit, ce qui contribuait à accentuer le caractère apparemment arbitraire de la mesure.
Le litige trouve son origine dans la constitution, en 2013, d’une société par deux associés, avec un capital social fixé à 18 600 euros, dont un tiers seulement a été libéré en numéraire. En 2019, l’un des associés, a décidé de libérer le solde du capital via un apport de 12 400 euros provenant de son compte courant.
Sur cette base, la société a appliqué, en 2019 et 2020, le taux réduit de 15 % sur les dividendes attribués, respectivement de 100 000 euros et 60 000 euros. Cependant, l’administration fiscale a rejeté cette application, estimant que l’apport en compte courant, bien que libérant le capital, ne constituait pas un apport en numéraire. Par conséquent, elle a imposé le taux standard de 30 %, entraînant des cotisations supplémentaires.
Le Tribunal de première instance de Liège, saisi par la société, a reconnu la volonté légitime du législateur d’encourager les apports en numéraire pour soutenir les PME et prévenir les abus. Toutefois, il a également noté que l’apport d’une créance en compte courant, exprimée en euros, ne présentait pas de risque de surévaluation et produisait des effets financiers comparables à un apport en liquidités. Le Tribunal a alors décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Les arguments de la société
La société a soutenu que les apports en créance et en numéraire augmentaient la trésorerie de manière équivalente et participaient donc de manière identique à la recapitalisation de l’entreprise. Elle a souligné que, contrairement à d’autres apports en nature comme les biens immobiliers, les créances en compte courant ne peuvent être artificiellement surévaluées.
De plus, la société a critiqué l’arbitraire de la mesure : un dirigeant aurait pu contourner cette exclusion en procédant à un remboursement préalable de sa créance avant de la réinvestir sous forme de liquidités, obtenant ainsi le bénéfice du taux réduit.
Les arguments du Conseil des ministres
Le Conseil des ministres a défendu la mesure en insistant sur l’objectif du législateur : attirer de nouveaux capitaux frais dans les petites et moyennes entreprises pour soutenir leur développement. Il a affirmé que seuls les apports en numéraire injectent de telles liquidités nouvelles, contrairement aux apports en nature, qui se limitent souvent à réduire les dettes de la société sans lui apporter de ressources additionnelles.
Par ailleurs, il a mis en avant les risques accrus d’abus associés aux apports en nature, notamment les manipulations comptables, et a justifié l’exclusion des créances en compte courant par la nécessité d’encadrer strictement les conditions d’octroi du taux réduit.
Dans son arrêt du 16 janvier 2025, la Cour constitutionnelle a décidé que l’article 269, § 2, du CIR 1992, en limitant l’octroi des taux réduits de précompte mobilier aux apports en numéraire, est conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination.
Elle a rappelé que le législateur dispose d’une large marge d’appréciation en matière fiscale et que la distinction entre apports en numéraire et en nature repose sur des critères objectifs et poursuit un objectif légitime : encourager l’injection de capitaux frais dans les PME et prévenir les abus.
La Cour a également souligné que les apports en nature, y compris les créances en compte courant, sont plus susceptibles de manipulations comptables ou de surévaluations, justifiant ainsi leur exclusion. Elle a estimé que cette distinction, bien qu’elle puisse paraître stricte, garantit la sécurité et l’efficacité du régime fiscal. En outre, les mécanismes anti-abus existants ne peuvent remplacer une règle générale limitant les risques de fraude.
Enfin, la Cour a considéré que la mesure n’était ni arbitraire ni disproportionnée. Elle a jugé que les effets financiers équivalents entre apports en numéraire et en nature ne suffisaient pas à remettre en cause la cohérence de la disposition légale.