Le moins que l’on puisse dire est que la crise sanitaire n’a pas freiné les ardeurs de certains contrôleurs du fisc, au mépris quelquefois des règles les plus élémentaires de procédure, estime le conseilleur fiscal Pierre-François Coppens.
On voit fleurir ces derniers temps des demandes de renseignements du fisc, assorties de sanctions en cas de non-réponse dans un délai très court, visant à communiquer toute la comptabilité du contribuable.
À titre d’exemple, voici une demande de renseignements qui fut adressée récemment à une société médicale: «Pourriez-vous me transmettre les historiques de tous les comptes (clients, fournisseurs, charges, produits, C/C gérant...), les historiques généraux, ainsi que les journaux (achats, ventes, NC sur achats et ventes, OD,...), par email pour votre facilité? Ceci permettra de raccourcir et faciliter le contrôle.»
Quelques rappels des principes de base tout d’abord. Dans le cadre de l’article 316 du CIR92 il est permis à l’administration fiscale d’obtenir de la part d’un contribuable des renseignements qui peuvent porter sur des revenus qui contribuent à la formation de la base imposable (revenus immobiliers, professionnels, divers et, dans certains cas, revenus mobiliers).
Par la pratique de demandes de renseignements telles qu’on peut les lire aujourd’hui, il apparait que des agents du fisc, invoquant – voire profitant du contexte sanitaire – bafouent totalement les directives de leur propre administration.
"Deux mondes parallèles coexistent: celui de l’entreprise préoccupée avant tout par sa pérennité face à une concurrence souvent féroce et celui de l’administration fiscale, service public indispensable, mais déconnecté de cette réalité économique et peu attentif aux préoccupations des entrepreneurs."
Les contrôleurs demandent des informations nécessitant de véritables travaux de recherches, un travail fastidieux. En outre, il arrive souvent que peu de temps après cette demande, le contribuable reçoive un avis de rectification sans que s'instaure un réel dialogue et la possibilité de se défendre avant cette rectification. Un effet pervers du Covid où le contact humain souvent propice à un accord n’existe plus.
On note aussi une recrudescence des contrôles fiscaux opérés ces derniers mois chez les médecins et infirmiers indépendants (contrôle des frais professionnels), ce qui semble pour le moins inconvenant quand on sait qu’ils furent les vrais héros de la crise. Si de tels contrôles ne sont pas évidemment pas interdits, on s’étonnera du timing de ces contrôles, réalisés d’ailleurs aussi vis-à-vis d’autres secteurs très fragilisés (Horeca, transport, événementiel). N’aurait-il pas été opportun de postposer quelque peu de tels contrôles ?
Ces quelques exemples, parmi d’autres, appellent deux réflexions.
Premièrement, on observe aujourd’hui une véritable modification de comportement de certains contrôleurs (pas tous, fort heureusement) qui ne semblent plus se souvenir qu’il existe un corpus de règles de procédure fiscale qu’il convient de respecter. Tout n’est pas permis au nom de la vérification de la correcte application des lois d’impôt. Les droits de la défense doivent être préservés, les délais de réponse doivent être respectés, le secret professionnel doit être observé, les demandes adressées aux contribuables doivent être proportionnées et précises, et les contribuables ne doivent pas se soumettre à toutes formes de doléances de certains fonctionnaires.
Deuxièmement, il serait souhaitable que les agents chargés de la mission parfaitement respectable de vérification des situations fiscales des entreprises et de leurs dirigeants essaient de faire l’effort minimal de comprendre la vie et les difficultés des entrepreneurs. C’est rarement le cas hélas et les demandes ubuesques formulées ou les clichés véhiculés par certains agents du fisc attestent de cette incompréhension manifeste.
Deux mondes parallèles coexistent: celui de l’entreprise préoccupée avant tout par sa pérennité, voire sa survie, face à une concurrence souvent féroce et celui de l’administration fiscale, service public indispensable, mais déconnecté de cette réalité économique et peu attentif aux préoccupations des entrepreneurs.
J’ai toujours plaidé pour que le SPF Finances impose – ou propose – à ses taxateurs un stage en entreprise, ne fut-ce que durant deux ou trois mois. Tout simplement, pour comprendre et ressentir le vécu de ces milliers d’entrepreneurs qui doivent gérer au quotidien tant de contraintes administratives, commerciales, financières et humaines. Bien des incompréhensions et de malentendus pourraient être levés si cette expérience était réalisée.
Subir deux mondes qui s’affrontent est-il plus utile que d’avoir deux mondes qui se respectent et se comprennent? Tout le monde sortirait gagnant d’une approche plus horizontale que verticale des relations entre agents taxateurs et contribuables.
Pierre-François Coppens
Conseil fiscal IEC, juriste, fondateur de l'A.D.F.P.C. et professeur à la Chambre Belge des Comptables
Source :L'Echo