Suite à l’adoption de la loi du 17 mars 2022 portant des dispositions fiscales diverses et de lutte contre la fraude[1], qui offre un cadre légal[2] aux équipes mixtes d’enquête pluridisciplinaire composées de policiers (membres spécialisés des divisions de recherche concernées des différentes PJF) et de fonctionnaires fiscaux, le Collège des procureurs généraux a émis une circulaire n°02/2023 du 9 février 2023 visant la mise en œuvre pratique de ces « MOTEMs »[3] fiscaux.
Pour mémoire, la loi du 17 mars 2022 a octroyé à 25 agents[4] de l’administration fiscale la qualité d’officier de police judiciaire pouvant faire partie de ces MOTEMs, dont au moins 24 ont déjà prêté serment en février 2023.
Cela signifie concrètement que ces fonctionnaires sont habilités, dans le cadre des MOTEMs et sous la direction du Procureur du Roi (ou, pourquoi pas, du Procureur fédéral ou du Procureur européen dans le cadre de leurs compétences respectives) ou d’un juge d’instruction, à effectuer des devoirs d’enquête tels que la réalisation d’auditions, la participation active à une perquisition, ou encore à l’analyse de données saisies.
Le champ d’action de ces fonctionnaires fiscaux n’est toutefois pas illimité. La loi prévoit en effet que :
La circulaire a pour objet de régler la mise en œuvre pratique des MOTEMs fiscaux. Les points d’attention principaux de la circulaire sont les suivants :
Les critères retenus par la circulaire permettant d’identifier les types de dossier pouvant donner lieu à la constitution d’un MOTEM par le Procureur du Roi sont, en substance, les suivants :
Les critères énumérés ci-dessus rejoignent en grande partie ceux[5] qui permettent à l’administration fiscale d’identifier les faits de fraude fiscale grave à dénoncer obligatoirement au Procureur du Roi, menant à la tenue tout aussi obligatoire d’une concertation dite « una via » (le Procureur du Roi se concerte avec l’administration et décide s’il engage des poursuites ou non).
Ceci veut aussi dire qu’une concertation una via débouchant sur l'ouverture d’une enquête pénale impliquera généralement, pour le magistrat du parquet concerné, d’envisager la possibilité de mettre en place un MOTEM.
La circulaire ajoute que « la possibilité de saisir des sommes d’argent en vue de leur confiscation ne constitue pas en soi un critère mais peut servir de facteur déterminant, si un choix doit être posé entre plusieurs enquêtes pouvant faire l’objet d’un MOTEM, mais que la capacité n’existe pas pour les créer tous ».
Enfin, un MOTEM ne sera en principe mis en place que si les fonctionnaires de l’administration fiscale sont en mesure d’apporter une expertise spécifique dans la matière traitée, et dès lors une forte plus-value à l’enquête.
La décision de constituer un MOTEM appartient au Procureur du Roi, qui peut l’envisager en dehors de tout contact préalable avec le fisc, ou suite à une concertation « una via ».
Selon la circulaire, lorsque le conseiller général du SPF Finances dénonce des faits de fraude fiscale grave au parquet, il doit préciser si la constitution d’un MOTEM lui semble opportune.
La décision de constitution du MOTEM sera ensuite communiquée au SPF Finances par un écrit adressé au service de coordination anti-fraude. Cet écrit constitue une pièce de la procédure et sera joint au dossier pénal.
Endéans un délai de dix jours, l’administrateur général de l’ISI confirme au ministère public la participation du fisc au MOTEM et désigne le ou les fonctionnaires (ayant la qualité d’OPJ) qui y collaboreront. Cette désignation tiendra compte des disponibilités, de la spécialisation et de l’intervention de ces fonctionnaires dans les enquêtes fiscales relatives au même contribuable.
A ce sujet, la loi prévoit qu’un fonctionnaire qui participerait à une enquête administrative en cours à l’encontre du contribuable concerné ne peut pas en même temps faire partie du MOTEM. La circulaire élargit cette interdiction aux agents qui auraient traité le dossier du contribuable au cours des 5 dernières années.
Dès que la décision de création du MOTEM est prise et notifiée au service de coordination anti-fraude, le « chef d'enquête », qui est nécessairement un policier de la PJF, dresse un « plan d'enquête ».
Ce plan comprend au minimum les éléments suivants : l'objectif de l'enquête, la façon d'atteindre l'objectif recherché, les moyens à mettre en place, le timing, les accords pratiques (lieu de travail, conservation des pièces, etc). Il doit être validé par le magistrat dirigeant l’enquête, et sera continuellement actualisé au fil de l’évolution de celle-ci.
Selon la circulaire, le plan d’enquête – qui doit être actualisé au cours de l’enquête - ne constituerait toutefois pas une pièce de la procédure à joindre au dossier répressif ni, le cas échéant, au dossier fiscal.
Rappelons que ce type de circulaire ne lie pas le contribuable ni les magistrats du siège. Il pourrait y avoir un réel intérêt pour le suspect, notamment au regard des droits de la défense, à demander à ce que ce document soit versé au dossier.
La circulaire prévoit encore que conformément aux articles 340, al. 3 CIR92 et 59, §1, al. 3 CTVA, les éléments de preuve rassemblés par un agent du fisc à l’occasion d’un MOTEM ne pourront être utilisés à des fins purement fiscales qu’après qu’une autorisation de consultation du dossier répressif ait été octroyée conformément aux articles 327, §1, al. 2 CIR92 et 93quaterdecies, §1, al. 3 CTVA[6].
Ceci constitue une nouvelle preuve du risque réel d’enquête fiscale parallèle ou consécutive à l’enquête pénale, malgré l’objectif affiché – mais loin d’être atteint - par la législation « una via » de ne choisir qu’une seule voie entre le fiscal et le pénal[7].
-----------
[1]Loi du 17 mars 2022 portant des dispositions fiscales diverses et de lutte contre la fraude, M.B., 25/03/2022, introduisant les articles 338quater du CIR92 et 63ter du CTVA.
[2] Elle complète plutôt une disposition déjà existante, mais surtout utilisée jusqu’ici en matière sociale, voy. la loi du 26 mars 2014 portant des mesures d’optimalisation des services de police, M.B., 31/03/2014, art. 24: « Dans les matières de la criminalité économique et financière organisée, de la fraude fiscale et sociale et de la criminalité ICT, des unités de recherche sont créées au sein des directions judiciaires déconcentrées d’Anvers, de Bruxelles, de Charleroi/Mons, de Flandre-Orientale et Liège, chargées des enquêtes spécialisées. En particulier, elles seront chargées de participer aux équipes mixtes d’enquêtes multidisciplinaire ».
[3]Pour « Multidisciplinair Onderzoeks Team Enquêtes Multidisciplinaires ».
[4] L’article 338quater §1er, alinéa 2 du CIR92 prévoit que ce nombre pourrait être augmenté par arrêté royal, après avis du collège des procureurs généraux.
[5] Art. 1er A.R. du 9 février 2020 portant exécution de l'art. 29, § 4, du C.I.Cr.
[6] La circulaire ne précise pas ce qu’il en est en cas de demande d’accès au dossier sur la base de l’article 21bis ou 61ter C.i.cr.
[7]A ce sujet, voy. M. GOSSIAUX et M. BONNEURE, « Fraude fiscale : points d’attention en procédures fiscale et pénale », Bulletin juridique et social, 2022, n° 699, pp. 7 et s.