Peut-on infliger un accroissement d’impôt lorsque l’imposition résulte exclusivement de l’application de la disposition anti-abus prévue à l’article 344, § 1er du CIR 92 ? La question reste sensible, car cette disposition repose sur une construction atypique : elle permet de rétablir l’impôt même en l’absence d'une infraction à la loi fiscale lorsque l'on ne s'est pas conformé aux "objectifs" du législateur.
Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Liège le 5 février 2025 (rôle n° 2023/RG/917), les contribuables avaient apporté les actions d’une société opérationnelle détenant d’importantes liquidités à une société holding. Celle-ci a perçu deux dividendes successifs de 750.000 EUR, puis procédé à une réduction de capital de 1.500.000 EUR, dont 1.352.400 EUR ont été reversés à l’actionnaire principal sans retenue de précompte. Pour l’administration, cette succession d’actes constituait un abus fiscal, destiné à soustraire à l’impôt des sommes qui auraient normalement été imposées comme dividendes.
Les contribuables contestaient l’application d’un accroissement de 10 %, au motif que leur déclaration n’était ni inexacte ni incomplète, l’imposition n’ayant pu être établie qu’a posteriori par la requalification opérée sur la base de l’article 344, § 1er.
La cour rejette cet argument : le contribuable est censé tenir compte de l’ensemble du dispositif fiscal, y compris de la disposition anti-abus. Son omission rend la déclaration inexacte au sens de l’article 444 CIR 92, et justifie l’application de l’accroissement.
La cour d’appel affirme qu’un abus fiscal avéré peut, à lui seul, fonder l’application d’une majoration. Ce faisant, elle balaie l’idée selon laquelle la clause anti-abus constituerait un mécanisme purement correctif, sans incidence sur le régime des infractions. La position de la cour est claire : la neutralisation de l’abus n’exclut pas la sanction.
L’arrêt impose au contribuable non la simple connaissance de la loi (déjà difficile en matière fiscale) mais celle des objectifs du législateur fiscal.
Mais faut-il rappeler que ces objectifs, souvent implicites ou évolutifs, ne transparaissent pas nécessairement du texte mais (et pas toujours) de travaux parlementaires parfois fort anciens ?
Loin de sanctionner une infraction manifeste, la cour érige ici l’ignorance de l’intention du législateur en faute déclarative. Cette sévérité appelle à la prudence. Elle ouvre aussi un débat plus large : jusqu’où peut-on raisonnablement attendre d’un contribuable qu’il anticipe l’interprétation de ses actes ?