Les multipropriétaires aux prises avec le fisc et le juge fiscal ...

Depuis l’éclatement de la crise du Covid, on observe un engouement accru des Belges pour l’immobilier. Dans un contexte de forte volatilité des marchés d’actions, la pierre rassure. Le marché immobilier est aussi porté par des taux d’intérêt bas et … par une fiscalité favorable. Attention toutefois, car le fisc reste tapi en embuscade. En ligne de mire : certains multipropriétaires.


Placer son épargne dans des briques est fiscalement intéressant. Si l’immeuble est loué à un particulier (qui n’utilise pas l’immeuble à des fins professionnelles), les loyers sont imposables à hauteur du revenu cadastral indexé (majoré de 40%), lequel représente la valeur locative fictive du bien. Mais comme on se base sur l’état du marché locatif au…. 1er janvier 1975 (!) pour calculer le revenu cadastral, la pression fiscale sur les loyers est naturellement fort faible. Par ailleurs, lorsque le particulier revend l’immeuble, sa plus-value échappe en principe à toute imposition, pour autant que la vente intervienne plus de cinq ans après l’acquisition. La fiscalité immobilière est, on le voit, un « mini-paradis fiscal ».


Depuis quelque temps, l’administration fiscale mène une croisade contre les multipropriétaires, en particulier lorsqu’ils prennent des risques, effectuent de multiples transactions immobilières successives et consacrent un temps considérable à la gestion de leur patrimoine immobilier. Le fisc n’hésite en effet pas à taxer les loyers qu’ils perçoivent et/ou les plus-values immobilières qu’ils réalisent au titre de revenu professionnel au tarif progressif, le taux marginal s’élevant à … 50% ! Il est frappant de constater qu’au cours des dernières années, quatre cours d’appel du Royaume ont donné raison au fisc.

Voici quelques illustrations.


La Cour d’appel de Mons a entériné, par un arrêt du 19 octobre 2017, l’imposition de loyers au titre de revenus professionnels dans le chef d’un couple dont le mari était actif dans le secteur de la construction et dont l’épouse, qui avait une activité professionnelle réduite, disposait du temps nécessaire à la gestion du patrimoine immobilier. Les contribuables avaient acquis trois immeubles en l’espace de seulement 13 mois ; ils avaient conclu un emprunt bancaire pour un montant démesuré eu égard aux revenus professionnels du ménage ; ils avaient mis en location 26 logements, ce qui requérait une organisation et une logistique excédant la gestion normale d’un bon père de famille.


Dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt du 20 février 2018 de la Cour d’appel de Liège, un contribuable s’était endetté pour acquérir six immeubles en seulement trois années. Il les avait mis en location, et après quelques années, il avait revendu deux immeubles. Il consacrait par ailleurs un certain temps à la gestion administrative et financière des locataires. La Cour a validé la taxation au titre de revenus professionnels des loyers et des plus-values réalisées lors de la vente des immeubles.


Dans un arrêt du 17 mai 2018, la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé la taxation de loyers à titre de revenus professionnels, dans le chef d’un chômeur qui consacrait un temps considérable à la gestion de son patrimoine (entretien des immeubles,…). Celui-ci avait acquis, grâce à un emprunt, cinq immeubles (dont un immeuble à appartement) au cours d’une période de huit années.


Dans un arrêt du 19 juin 2018, la Cour d’appel d’Anvers s’est prononcée sur le cas d’un contribuable qui avait acheté, grâce à un emprunt, un terrain à bâtir sur lequel il avait fait ériger un immeuble à appartements. Le contribuable était le gérant de l’entreprise de construction. Un an et demi plus tard, après l’achèvement des travaux, il avait vendu les cinq appartements. La Cour d’appel a jugé que la plus-value devait être imposable au titre de revenus professionnels.


Avant de se lancer dans un projet immobilier, il est conseillé de tenir compte de l’éventualité d’avoir à payer un impôt sur les loyers et/ou la plus-value, et de prendre le cas échéant certaines précautions afin de réduire les risques fiscaux. Plusieurs ingrédients (la prise de risque financier, la multitude des opérations immobilières, le temps consacré à la gestion du patrimoine immobilier, les connaissances/l’expertise du contribuable dans le secteur immobilier…) peuvent ensemble constituer un « cocktail Molotov » susceptible d’exploser à tout moment à la figure du contribuable.

Denis-Emmanuel PHILIPPE

Avocat-associé (Bloom Law) et Maître de conférences à l’ULiège


Source : Bloom law.

Cet article a fait l'objet d'une carte blanche publiée dans l'Echo en date du 29 avril 2021

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