Les plus-values sur actions non cotées : un échec imminent ?

Si la taxation des plus-values financières fait déjà couler beaucoup d’encre et provoque déjà un imbroglio politique, le véritable problème demeure la taxation des plus-values sur actions non cotées. Pour ces titres, la difficulté est évidente, car leur prix n’est pas déterminé de manière continue par un marché boursier réputé «efficient».

Concentrons-nous sur les actionnaires-personne physique détenant des actions dans des sociétés non cotées.

Quel est le montant de la taxation? Selon que les cédants d’actions détiennent moins ou plus de 20% de l’actionnariat d’une société, les règles sont différentes. Si la participation est inférieure à 20 %, la taxation est de 10% avec un montant immunisé de 10.000 €. Si la participation est supérieure à 20% (ce qui est souvent le cas dans les PME), le cédant bénéficiera d’un abattement automatique d’un million d’euros sur leur plus-value de cession. Au-delà de ce seuil, la plus-value sera taxée à un taux progressif de 10% si elle dépasse 10 millions d’euros. Cette mesure arrive incidemment à un très mauvais moment, puisque de nombreux baby-boomers, fondateurs d’entreprises, sont en phase de transmission vers les générations plus jeunes. Cela risque donc d’entraver l’entrepreneuriat et d’alourdir un processus déjà complexe.

Pour calculer une plus-value d’un titre non coté, il faut un prix de cession, mais aussi un point de départ, qui sera probablement fixé au 1ᵉʳ janvier 2026. Or, comment déterminer cette valeur de référence sans la référence d’un cours de bourse?

Regardons cela d’un peu plus près. Pour calculer une plus-value d’un titre non coté, il faut un prix de cession, qui sera constaté lors de la transaction, bien qu’il soit souvent conditionnel dans les entreprises non cotées. Mais il faut aussi un point de départ, qui sera probablement fixé au 1ᵉʳ janvier 2026. Or, comment déterminer cette valeur de référence à cette date sans la référence d’un cours de bourse?

Des formules abracadabrantesques

Idéalement, il faudrait imaginer une ou plusieurs méthodes permettant d’établir une base fiscale incontestable. Et là, c’est la bouteille à encre.

Il existe des dizaines de méthodes d’évaluation, telles que l’actif net réévalué, des multiples du résultat ou de l’EBITDA, c’est-à-dire le bénéfice — s’il y en a un — avant amortissements et intérêts versés aux créanciers. Mais quel multiple appliquer? Tout dépend du secteur et des circonstances, naturellement évolutives. D’autres approches reposent sur l’actualisation des prévisions de résultat, mais elles sont extrêmement fragiles: il est impossible de connaître les résultats futurs et encore moins la prime de risque nécessaire pour les actualiser.

On pourrait bien sûr envisager d’utiliser les capitaux propres, mais comment les estimer au 1ᵉʳ janvier 2026, sans exclure les éléments intangibles comme le goodwill, pourtant essentiels à la valorisation d’une entreprise? L’exercice devient impraticable, sauf à élaborer des formules abracadabrantesques qui généreront autant de contestations que de transactions.

Cette taxe sera un échec probable. Outre le fait qu’elle taxe l’inflation, elle risque de perturber gravement le tissu économique.

Prenons l’exemple d’un entrepreneur visionnaire qui a créé une entreprise avec de faibles fonds propres, mais dont toute la valeur repose sur son réseau de clients, son expertise et d’autres actifs immatériels. Cet entrepreneur n’a pas constitué de réserves bénéficiaires, et ses capitaux propres restent faibles. Lorsqu’il cède son entreprise, une part importante du prix de vente correspond à un goodwill (souvent justifié par son engagement à rester temporairement dans l’entreprise). Faute de pouvoir évaluer ce goodwill au 1ᵉʳ janvier 2026, il sera intégralement taxé, ce qui est profondément injuste puisque le goodwill existait déjà au 1er janvier 2026, sans qu’il soit mesurable. C’est d’ailleurs tellement vrai qu’une entreprise ne peut jamais comptabiliser son propre goodwill dans ses actifs. Et cela sans même évoquer les nombreuses situations de scissions et d’apports qui deviendront autant d’écueils fiscaux.

Rien ne sera irréfutable, tout sera contesté

L’administration fiscale tentera sans doute d’élaborer des méthodes d’évaluation, mais même avec l’aide d’experts — comptables, réviseurs d’entreprises —, rien ne sera irréfutable et tout sera contesté. D’autant plus que la plus-value de cession, qui ne sera peut-être réalisée que dans plusieurs années, dépendra d’une valorisation fixée au 1ᵉʳ janvier 2026 sur la base d’hypothèses fragiles.

Par ailleurs, toutes les hypothèses utilisées pour évaluer un titre non coté seront inévitablement démenties par l’avenir, puisque le résultat d’une entreprise dépend de facteurs aléatoires. D’aucuns pourraient même, rétrospectivement — et à juste titre —, contester l’évaluation de leurs titres non cotés au 1ᵉʳ janvier 2026 si les hypothèses de croissance et de résultat ne se révèlent pas conformes aux prévisions.

Cette taxe sera donc un échec probable. Outre le fait qu’elle taxe l’inflation — mais au point où en est le manque de réalisme des choses, cela devient presque accessoire —, elle risque de perturber gravement le tissu économique. Chaque jour, je suis de plus en plus convaincu qu’elle finira par échouer sous le poids des recours.

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