​Marx et la finance moderne : une confrontation idéologique de deux facteurs de production, le capital et l'homme.

Je partage une réflexion qui – je le confesse – m’a pris des années à saisir. Elle concerne les gains de productivité.

Que sont ces gains de productivité ?

Il s’agit de l'augmentation de l'efficacité avec laquelle une entreprise utilise ses ressources pour produire des biens ou des services.

Lorsqu’on oppose deux facteurs de production, à savoir le travail et le capital, la question est de savoir comment répartir la rémunération de ces gains de productivité.

Le premier économiste à s’en inquiéter, puisque ses théories se sont juxtaposées avec la première révolution industrielle, fut Karl Marx.

Il observa, sur la base d’une vision de comptabilité "historique", en partant du passé vers le présent de manière analytique, que l’ouvrier n’était pas suffisamment rémunéré pour son travail, et que le capitaliste lui arrachait une partie de sa rémunération sous forme de plus-value, la somme des plus-values constituant un capital. Il considérait d’ailleurs, et sans doute très finement, qu’un capital était un "quantum" (une partie) de travail.

Mais cette lecture a changé avec l’avènement de la finance moderne, dont j’ai mis des années à comprendre la transposition politique.

Cette dernière postule que la valeur du capital correspond à l'actualisation (c’est-à-dire ramener en euros d’aujourd’hui) des revenus futurs de ce capital (dividendes, intérêts, plus ou moins-values, etc.).

La théorie sous-jacente, appelée CAPM (Capital Asset Pricing Model), conduit à esquisser ces revenus futurs, et à en déduire le taux d’intérêt sans risque ainsi que l’incertitude qui y est associée, sous forme de "prime de risque". Le risque de cette incertitude est donc rémunéré si celle-ci se dissipe avec le temps.

La finance moderne a ainsi défini la rémunération du capital, qui est de l’ordre de 11 % par an sur une longue période.

Le reste, et souvent moins, revient au travail. Cela conduit à des licenciements boursiers.

Ce qui s’est donc passé, c’est que, faute de pouvoir mesurer précisément les gains de productivité du travail, on a utilisé la finance moderne pour déterminer la rentabilité minimale du capital, et donc attribuer le résidu au travail.

Tout cela parce que, contrairement à l’époque de Karl Marx, la rentabilité, dans une logique protestante, part désormais du futur vers le présent. Et la comptabilité IFRS, à laquelle j’ai consacré mon doctorat, suit la même logique.

Nous sommes passés d’un temps catholique de capitalisation prorata temporis, à un monde protestant, nimbé de la recherche de prédestination, qui s’essaye au futur pour le ramener en valeurs contemporaines. Et à un monde anglo-saxon où tout ce qui n’est pas capital est finalement perçu comme… des nuisances.

Et si Karl Marx revenait, il serait sans doute terrifié, car sa théorie rétrospective se confronterait à l’incertitude spéculative de la valorisation du futur.

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