Pour boucler son budget 2024, le gouvernement belge a décidé d'aller chercher des recettes complémentaires en durcissant une nouvelle fois la « taxe Caïman ». Dans le viseur : les détenteurs de constructions juridiques qui décideraient de transférer leur domicile fiscal à l’étranger…
Pour rappel, la taxe Caïman a été instaurée en 2015 afin de taxer les revenus imposables (dividendes, intérêts,…) de « constructions juridiques » (trusts, sociétés faiblement imposées, certains contrats d’assurance,…) par transparence dans le chef de leur « fondateur » (personne physique résidente belge), comme s'il les avait perçus directement. Cette taxe a depuis lors été modifiée à de très nombreuses reprises.
La réforme du dispositif actuel est directement inspirée du rapport de la Cour des comptes d’avril dernier, qui mettait le doigt sur certaines lacunes et formulait plusieurs recommandations à destination du législateur. L’instauration d’une nouvelle « mini exit tax » (ou taxe à la sortie) est indiscutablement la mesure qui saute le plus aux yeux.
Pour bien comprendre l’intérêt de cette mesure, il faut commencer par rappeler que la taxe Caïman est uniquement due par des fondateurs - résidents belges. Une émigration du fondateur vers des juridictions où la fiscalité est plus douce - pour autant bien entendu que le transfert du domicile fiscal ne soit pas fictif- permet donc d'éviter facilement (sans coût fiscal) la taxe Caïman. Le gouvernement entend rebattre les cartes, en taxant les fondateurs de constructions juridiques en cas de départ de la Belgique.
Les détails de ce mécanisme d’« exit tax » ne sont pas encore connus. Il est vraisemblable que le déménagement du fondateur déclenchera une liquidation fictive de la construction juridique. Concrètement, ceci implique que le fondateur se fera imposer sur les réserves (et les plus-values latentes) de la construction juridique au titre de « dividende » (imposable à 30%). A noter que la législation fiscale actuelle prévoit déjà un traitement fiscal similaire (assimilation à une liquidation fictive) dans certaines situations, notamment en cas d’apport par le fondateur de ses droits dans une construction juridique (article 5/1, §2 du CIR).
L’exemple suivant permet d’illustrer l’impact potentiel de cette taxation à la sortie.
Voici un résident belge qui détient une SPF (société de gestion de patrimoine familial) luxembourgeoise (type de construction juridique) ayant accumulé des réserves d’un montant de 10 millions d’euros. Le départ du fondateur déclencherait la taxation des réserves de la construction juridique au titre de « dividende », au taux de 30% (soit 3 millions d’euros). Cette « exit tax » serait en principe immédiatement due, en particulier si le pays d'accueil se situe en dehors de l'Espace Economique Européen (EEE). On peut citer ici certaines des destinations favorites des exilés fiscaux comme Monaco, les Emirats arabes Unis, la Suisse, Israël,.... A noter qu’en cas de déménagement dans un autre Etat de l'EEE (par exemple, le Luxembourg), l'exigibilité immédiate de l'exit tax pourrait être potentiellement contraire à la liberté d'établissement.
Il s’agirait assurément d’une petite révolution dans le paysage fiscal belge. Contrairement à la France, la Belgique ne prévoit en effet pas de mécanisme d' « exit tax ». Ainsi, une personne physique belge fortunée (détenant une panoplie de « constructions juridiques ») peut aujourd’hui en principe quitter l’orbite fiscale belge sans avoir à payer d’impôt.
On peut s'attendre à des contrôles accrus de transferts de domicile fiscal par le fisc belge.
Détenir une construction juridique est devenu depuis quelques années un véritable casse-tête. Cette situation entraîne en effet des obligations fiscales complexes et des risques fiscaux accrus. Il en va d’autant plus ainsi que :
- le risque de détection par le fisc est élevé. Celui-ci est généralement au courant de l’existence de la construction juridique (même si le contribuable ne l’a pas déclarée !) à la faveur des échanges automatiques d’informations ("Common Reporting Standard" ou CRS) ;
- le fisc a désormais un délai de dix ans pour imposer les revenus du fondateur (art. 354, al. 4 du CIR, modifié par la loi du 20 novembre 2022, qui prévoit un délai d'imposition de 10 ans pour les déclarations "complexes").
Denis-Emmanuel PHILIPPE
Avocat associé (Bloom Law)