La Vivaldi l’avait annoncé, une énorme réforme fiscale allait intervenir durant la législature. Nous nous rappellerons de toutes les vicissitudes qui ont entouré la réforme finalement avortée.
Le dernier épisode, le conclave budgétaire de juillet 2023. A ce moment, était également sur la table, une énième réforme de la taxe caïman et ce, suite à un rapport de la Cour des comptes du 5 avril 2023. C’est finalement cette dernière mesure (et quelques petites autres éparses) qui ont été reprises dans la loi-programme du 22 décembre 2023.
En même temps, une réforme de la taxe caïman s’avérait nécessaire, tellement celle-ci était impraticable.
Allons-nous vers un mieux ? La réponse est malheureusement négative. On ne peut évidemment que le regretter.
La taxe caïman 2.1. se veut encore plus impraticable.
Bonne chance à celui qui tentera de la mettre en œuvre (on vise tant le contribuable que le contrôleur).
Le Conseil d’Etat s’est ému à plusieurs reprises de cette situation lors des travaux parlementaires mais le Ministre s’en est toujours référé au rapport de la Cour de Comptes. Il est dommage qu’il n’ait pas pris en compte sic, toutes les remarques et questions posées pour ne s’intéresser qu’à la partie « à charge » émanant de l’administration fiscale.
Faisons le point sur les nouvelles mesures.
Cette publication prend place dans le cadre du Tax TV Show de janvier 2024.
Les notions de construction juridique sont reprises à l’article 2, §1er ,13° du CIR92.
On sait qu’en principe, sont visées (constructions juridiques de type b) toutes les constructions juridiques hors Espace Economique Européen non soumises à un impôt ou soumises à un impôt qui s’élève à moins de 15% de la base imposable qu’aurait été celle de la structure si elle avait été calculée conformément aux règles du droit belge.
La loi prévoit par ailleurs que les constructions juridiques qui sont situées dans l’Espace Economique Européen, ne sont jamais des constructions juridiques sauf si, disait l’ancien texte, elles étaient visées par un arrêté royal.
Nous nous souviendrons, à ce sujet, des vicissitudes des différents arrêtés royaux ayant visé d’abord des structures spécifiques (SPF luxembourgeoise, Stiftung et Anstaldt liechtensteinoise) pour viser, ensuite les OPC et, in fine, les OPC dédiés, les sociétés hybrides et les structures qui sont soumises à un impôt inférieur à 1% de ce qu’aurait été la base imposable telle que calculée conformément aux règles de droit belge.
A présent, les textes des arrêtés royaux, tant Espace Economique Européen, que hors Espace Economique Européen, sont repris dans le texte légal.
Comme indiqué ci-dessus, les arrêtés royaux ont été repris dans le texte légal.
Toutefois, cette transcription dans le texte légal n’est pas parfaite.
Ainsi, concernant les entités hybrides, le texte de l’AR contenait, en effet, deux exceptions :
Cette exception n’a pas été reprise dans le texte légal.
Le cas des SCI : C’est sur la base de cette exception, notamment, que les SCI françaises étaient exclues de la définition de « construction juridique ».
Une SCI restera toutefois exclue dès lors que ses revenus sont soumis, dans le chef de ses associés, à un impôt sur les revenus et que cet impôt s’élève à au moins 1% de la part de cet associé sur le revenu imposable de la SCI déterminé conformément aux règles applicables à l’impôt belge sur les revenus correspondants.
Certains commentateurs en ont conclu que lorsque le(s) bien(s) détenu(s) en SCI n’est / ne sont pas donné(s) en location, celle-ci sera nécessairement qualifiée de construction juridique. Tel n’est pas notre avis : la base imposable d’une société en Belgique ne comprend en tout état de cause que les revenus effectivement perçus, que les biens soient ou non donnés en location n’est donc pas déterminant. Il est exact, en revanche, qu’il conviendrait chaque année de reconstituer la base imposable belge afin de vérifier que l’impôt payé en France est suffisant tenant compte des amortissements et des frais professionnels qui auraient été admis en Belgique.
En tout état de cause, il est évident, à nos yeux, que les conventions préventives continueront de primer la loi nationale et, en l’espèce, la CPDI actuelle (de même que la future, non encore entrée en vigueur) empêchera une taxation en transparence en Belgique des revenus immobiliers perçus par la SCI. En ce qui concerne les distributions, elles étaient, en tout état de cause, taxables en Belgique à titre de dividendes suivant la jurisprudence de la Cour de cassation.
La Stichting Administratie Kantoor des Pays-Bas est une construction juridique. Ceci avait déjà été souligné par la doctrine et a été confirmé par le ministre des Finances dans le cadre des travaux préparatoires. Toutefois, ce dernier a également confirmé que ni la taxation en transparence, ni la taxation des distributions ne s’appliquait si :
Ceci confirme l’analyse de Tetra Law sur cette question (B. Paquot, « La certification de titres à l’aune du CSA et ses impacts fiscaux », R.I.P., 2021, n°8).
Le législateur avait dès la première loi correctrice de la taxe Caïman (loi du 26 décembre 2015) tenté de viser les OPC dits « dédiés » c’est-à-dire détenu par une seule personne ou des personnes liées entre elles. Cette première tentative s’était soldée par un échec pour des raisons légistiques. Cette erreur avait été rectifiée par l’adoption de nouveaux Arrêtés Royaux (EEE et hors EEE, respectivement en 2018 et 2019).
Le constat était toutefois sans équivoque : il était trop facile de sortir du champ d’application de la taxe puisqu’il suffisait de céder une participation minimale à un tiers.
La notion d’OPC dédiés est, à présent, considérablement élargie. En effet, désormais, tout fonds ou compartiment de fonds dont les droits sont détenus à plus de 50% par une personne ou plusieurs personnes liées entre elles sont des constructions juridiques.
Le législateur réaffirme ainsi sa volonté de viser les SICAV à fonds dédiés et de réserver le régime fiscal avantageux applicable aux OPC aux investissements véritablement collectifs – s’ils sont hors de la Belgique, à tout le moins -.
Le Conseil d’État a habilement soulevé la question de la concurrence entre l’application de l’article 19bis du CIR92 - qui qualifie d’intérêt tout ou partie des plus-values réalisées en cas de cession à titre onéreux d'actions ou de parts, en cas de rachat de parts propres ou en cas de partage total ou partiel de l'avoir social d'un OPC obligataire – et de l’article 18,3° du CIR 92 qui qualifie de dividende toutes sommes attribuées ou mises en paiement par une construction juridique. Le législateur a expressément précisé qu’en cas de concours, la taxe Caïman devait primer.
Bien qu’il y ait des arguments de texte à invoquer, il est donc clair que la volonté du législateur est de soumettre les OPC privés à la taxation en transparence ainsi qu’à la taxation des distributions et des rachats.
A notre sens toutefois, la nouvelle loi ne modifie en rien l’article 21, 2° du CIR92 qui permet la non imposition des distributions et rachats faits par une société d’investissements au sens du CIR.
La taxe Caïman 2.0. avait introduit la notion de construction juridique « mère » et « filiale » afin de permettre l’application de la taxe Caïman en cascade. Ainsi, lorsqu’une construction juridique (par exemple un trust) détenait les parts d’une autre (par exemple, une société au BVI), la taxe Caïman s’appliquait, dans le chef du ou des fondateur(s), à tous les niveaux de la chaîne.
En revanche, l’interposition d’une entité non qualifiée de construction juridique, empêchait l’application de la taxe Caïman à partir de cette structure.
Cela était logique : imaginons une personne physique qui détient les parts d’une SRL belge qui elle-même détient les parts d’une société des BVI, lorsque la BVI va distribuer à la SRL, celle-ci sera taxable sur les dividendes perçus (le régime RDT ne pourra évidemment pas s’appliquer) et lorsque la SRL distribuera à son actionnaire personne physique, celui-ci sera également taxable sur le dividende perçu. Aucun vide de taxation, donc.
Qu’à cela ne tienne, la Cour des comptes avait estimé que cette interposition d’une entité non Caïman empêchait l’application de la taxe et qu’il s’agissait donc d’une faille du système…
Résultat : la nouvelle loi créée la notion de « construction intermédiaire ».
La construction intermédiaire est définie comme l’entité, qui elle-même n’est pas une construction juridique, mais qui détient les parts d’une construction juridique.
Cette nouvelle notion va certainement rendre encore plus complexe (si, toutefois, cela était possible) l’application de la taxe caïman, notamment, en ce qui concerne les actionnaires minoritaires.
La notion de « fondateur » est par ailleurs adaptée afin de viser également les fondateurs de constructions intermédiaires.
Autre modification : le texte précise désormais que la taxation en transparence prime la taxation des distributions en cas de distribution des revenus la même année que leur perception.
Cette question avait déjà été tranchée par le SDA. On aurait toutefois pu accueillir favorablement cette précision légale si une autre modification prévue par le même projet de loi ne rendait pas cette précision quasiment inutile. Nous y revenons ci-dessous.
Il existait préalablement à la réforme une exception à la taxation en transparence dite « de substance ». En bref, échappait à la taxation en transparence une construction juridique :
La Cour des comptes avait considéré que l’interprétation de ces conditions, notamment la poursuite d’une « activité économique effective » posait des difficultés d’interprétation, spécifiquement lorsqu’il s’agissait de la gestion de patrimoines très (très) importants.
Le législateur a donc décidé de clarifier cette notion. Désormais, il faut démontrer :
En outre, la notion d’activité économique est définie comme étant : « l’offre de biens ou services à un marché déterminé ».
Cette même exception est reprise à l’article 18,3° du CIR92 qui qualifie les distributions de dividendes.
Dans sa grande largesse, le législateur précise que la taxe Caïman ne s’applique pas lorsque les revenus d’une construction juridique sont déjà taxés en transparence dans le chef d’une société belge en application du régime CFC.
De même, la taxation en transparence ne s’applique pas s’il est démontré que les revenus d’une construction juridique sont déjà taxés en transparence dans le chef d’une autre personne physique ou morale.
Il s’agit d’une disposition anti-abus spécifique : afin d’éviter qu’une entité procède habilement à des distributions lorsqu’elle a perdu sa qualité de construction juridique, il est considéré pour les besoins de la taxation des distributions que cette entité reste une construction juridique durant trois ans.
Cela interviendra, par exemple, lorsqu’une construction juridique aura changé de forme sociale (une SPF luxembourgeoise, transformée en Soparfi, par exemple) ou lorsqu’elle aura transféré son siège vers la Belgique – n’était-ce pas là pourtant le but recherché ? -.
L’article 21, 12° du CIR92 a été également modifié dans l’autre sens, cette fois, dans l’intérêt du contribuable.
Autres mesures hautement critiquables : la nouvelle loi institue deux cas où une exit tax sera due sur un boni de liquidation fictif.
Ainsi, conformément au nouvel article 18,3°/1 du CIR 92, sont des dividendes :
Les bénéfices non distribués d’une construction juridique visée à l’article 2, § 1er, 13°, a) et b), qui sont censés être attribués ou mis en paiement au fondateur d’une construction juridique, au moment où :
Autrement dit, une fiction de liquidation – qui impliquera la taxation d’un boni de liquidation fictif, le cas échéant, de manière étalée – s’appliquera :
La question de la compatibilité de cette mesure avec, notamment, les principes fondamentaux en droit européen est évidemment prééminente.
Le texte précise désormais que si, en transparence, ces revenus ont été exonérés en application de la loi fiscale belge (les plus-values sur actions, par exemple) ou d’une convention préventive de la double imposition (les revenus immobiliers, par exemple), ils seront taxables à titre de dividendes lors de leur sortie.
C’est la logique initiale de la taxe Caïman qui est ici balayée.
En effet, comme annoncé à l’origine, la taxation en transparence visait à rendre la détention d’avoirs au travers de structures peu ou pas taxée, inutile. Le but était donc précisément que les contribuables détenant des constructions juridiques soient taxés, à l’impôt des personnes physiques, comme si ces structures n’existaient pas. La taxation des distributions permettait alors de « rattraper » les réserves anciennes, accumulées avant l’avènement de la taxe Caïman.
Le constat de la Cour des comptes était que dans certains cas, l’application de la taxe Caïman pouvait s’avérer plus avantageuse pour le contribuable que la taxation ordinaire respectant la réalité fiscale de l’entité interposée.
En outre, cela n’est vrai que pour les sociétés. Dans ce cas précis, l’application de la taxe Caïman permet, de ne pas être taxé sur les dividendes distribués alors que dans le régime ordinaire toute distribution est qualifiée de dividendes et ce, même si les revenus perçus par la construction juridique étaient des plus-values sur actions, en principe, non taxables à l’IPP.
Dernière modification, et certainement la plus pertinente de toutes, le législateur a considérablement alourdi les obligations déclaratives.
L’objectif ? Être enfin capable de déterminer ce que ta taxe Caïman rapporte et monitorer son application.
Ainsi, dès la prochaine déclaration fiscale – applicable aux revenus 2023 – il conviendra de joindre une annexe précisant :
Hormis les nouvelles obligations déclaratives qui entrent en vigueur pour l’exercice d’imposition 2023, ces nouvelles mesures entrent en vigueur pour les revenus obtenus (régime de transparence) et distribués (taxation des distributions) à partir du 1er janvier 2024.