Ci-après, sont résumées les 4 décisions de jurisprudence publiées en juin 2024, qui ont retenu notre attention en vue du Tax Tv Show du 18 mai 2024.
Rôle n° 2023/AR/264
Jusqu’à l’exercice d’imposition 2017, l'article 444 CIR 1992 ne prévoyait pas l’application d’un accroissement d'impôt en cas de déclaration tardive. La jurisprudence majoritaire, en ce compris celle de la Cour de cassation, considérait qu’une déclaration tardive ne pouvait être assimilée à une absence de déclaration pour l’application de l’article 444 CIR 1992 (Cass., 15 mars 2018, RG F.17.0004.N).
Cet article a été modifié par la loi du 30 juin 2017, entrée en vigueur le 17 juillet 2017, pour inclure les mots « (en cas de) de remise tardive de celle-ci » (nous ajoutons).
Après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2017, l’article 444 CIR 1992 ne permettait toujours pas d’appliquer un accroissement d’impôt en cas de déclaration tardive. En effet, le législateur s’est contenté d’ajouter l’expression « de remise tardive de celle-ci » sans adapter le reste du texte.
Le texte de l’article 444 CIR 1992 prévoyait en effet que l’accroissement était « fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 p.c. à 200 p.c. des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés. » (c’est nous qui soulignons). Or, en cas de déclaration tardive, tous les revenus sont déclarés et une déclaration tardive ne peut être assimilée à une absence de déclaration (Cass., 15 mars 2018, RG F.17.0004.N).
Le législateur a dès lors adopté la loi du 27 juin 2021 portant des dispositions fiscales diverses et modifiant la loi du 18 septembre 2017, afin d’ajouter les mots « ou déclarés tardivement » à la fin du premier alinéa de l’article 444 CIR 1992.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les articles 225 et suivants de l’AR/CIR 1992 prévoyant l’échelle de graduations de 10 à 200% pour l’application de l’accroissement en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction n’avaient pas été modifiés et visaient uniquement l’hypothèse d’une absence de déclaration.
L’Arrêté royal du 13 septembre 2022, entré en vigueur le 13 octobre 2022, a modifié les articles 225 et suivants de l’AR/CIR 1992 pour fixer l’échelle des accroissements en cas de déclaration tardive, ce qui n’avait pas encore été fait.
L'affaire concerne un accroissement d’impôt établi à la suite d’une déclaration introduite tardivement.
La déclaration aurait dû être introduite le 14 octobre 2019 mais n’avait été déposée que le 30 septembre 2020. Un accroissement d’impôt de 200% avait été appliqué car il s’agissait de la 6ème déclaration tardive.
L’accroissement d’impôt avait dès lors été établi après l’entrée en vigueur de la loi du 27 juin 2017 mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 juin 2021.
Le contribuable demandait l’annulation de l’accroissement d’impôt au motif que l’article 444 CIR 1992, dans sa version applicable en 2020, ne permettait pas l’application d’un accroissement d’impôt en cas de déclaration tardive car l’article 444 CIR 1992 prévoyait uniquement que l’accroissement d’impôt était calculé sur la portion d’impôt résultant des revenus non déclarés, sans viser spécifiquement les revenus déclarés mais tardivement.
Ce à quoi l’administration fiscale répondait que la loi du 27 juin 2021 était une loi interprétative qui ne visait qu’à clarifier le sens qu’aurait dû avoir l’article 444 CIR 1992 après l’entrée en vigueur de la loi du 27 juin 2017.
Une loi interprétative s’entend au sens d’une disposition légale qui « confère à une disposition le sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’elle pouvait raisonnablement recevoir (C.C., 16 février 2017, 2017, arrêt n° 23/2017, B. 3 (c’est nous qui soulignons)).
La Cour d’appel d’Anvers, dans son arrêt du 5 mars 2024, a considéré que la loi du 27 juin 2021 n’est pas une loi interprétative pour les motifs suivants :
Par conséquent, la Cour d’appel a annulé l’accroissement d’impôt de 200%, ce qui a également permis d’éviter la limitation des déductions prévue à l’article 207, alinéa 7 CIR 1992 que l’administration avait également appliquée dans cette affaire.
Rôle n° 22/4991/A
La société avait constitué une réserve de liquidation pour l’exercice d’imposition 2019 et payé la cotisation distincte de 10% dû sur la constitution de cette réserve.
Lors d’un contrôle fiscal ultérieur en novembre 2021, l’administration ramena la réserve de liquidation à 0 car la société ne pouvait pas être qualifiée de petite société au sens de l’article 215, al. 2 CIR 1992 et donc bénéficier du régime de la réserve de liquidation. La société ne s’opposa pas à cette rectification.
Elle chercha alors un moyen de récupérer la cotisation distincte de 10% payé inutilement puisque ses distributions ultérieures de dividendes ne pourraient pas bénéficier du taux réduit du régime de la réserve de liquidation et devraient faire l’objet d’un précompte mobilier de 30%. En d’autres mots, elle chercha à être remboursé de la cotisation distincte de 10% qu’elle avait payée inutilement.
Pour ce faire, elle introduisit une demande de dégrèvement d’office en 2022 en arguant que l’avis de rectification ramenant la réserve de liquidation à 0 constituait un fait nouveau ouvrant le droit à un dégrèvement d’office.
Pour rappel, l’article 376 CIR prévoit qu’un contribuable peut demander le dégrèvement des surtaxes résultant d'erreurs matérielles, de doubles emplois, ainsi que de celles qui apparaîtraient à la lumière de documents ou faits nouveaux probants pour autant que ces surtaxes aient été constatées dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'impôt a été établi.
Le tribunal de Première Instance d’Anvers considéra dans son jugement du 6 mars 2024 que l’avis de rectification ne constituait pas un fait nouveau au motif que la société savait ou pouvait savoir en 2019, lors de la constitution de la réserve de liquidation, qu’elle ne remplissait pas les conditions du régime de faveur étant donné qu’elle ne pouvait être considérée comme une petite société.
Ce qui était particulier dans cette affaire est que l’administration fiscale avait précisé dans son avis de rectification que celui-ci constituait un fait nouveau qui pourrait justifier l’octroi d’un dégrèvement sur base de l’article 376 CIR si une demande expresse était introduite en ce sens.
La société alléguait donc également une violation du principe de confiance légitime. Le Tribunal ne fut pas convaincu et considéra que l’éventuelle confiance qui aurait pu être créée par l’administration fiscale ne concernait pas à un contribuable dans le cadre de l’estimation de sa situation fiscale mais un contribuable qui a commis une erreur en remplissant sa déclaration fiscale.
A noter que l’issue du litige aurait pu éventuellement être différente si la société s’était opposée à l’avis de rectification. En effet dans ce cas, l’administration fiscale aurait peut-être émis une cotisation avec un montant de 0 EUR (comme elle le fait parfois dans le cadre de la rectification de perte fiscale) à l’encontre duquel le contribuable aurait pu introduite une réclamation ou une demande de dégrèvement corrélatif sur base de l’article 373 CIR 1992.
Cette affaire montre l’importance de vérifier rigoureusement les conditions d’application du régime de la réserve de liquidation mais également de s’assurer de toutes les options stratégiques possibles au moment de se positionner dans le cadre d’un litige fiscal.
Le tribunal a jugé que l’avis de rectification notifié par l'administration fiscale ne constituait pas un fait nouveau au sens de l'article 376 CIR92. Il a conclu que la société avait effectivement eu connaissance des éléments pertinents au moment de la déclaration fiscale initiale et aurait dû savoir qu’elle ne rentrerait pas dans les conditions d’une petite entreprise. De ce fait, elle aurait dû contester la taxe dans les délais impartis. Par conséquent, la demande de la société pour un dégrèvement d'office a été jugée non fondée.
Nous en profitons pour rappeler que les critères d’une petite société ont été adaptés (à la hausse) par l’arrêté royal du 25 mai 2024.
Le 15 avril 2024, le Tribunal de Première Instance de Bruges de preuve a rendu la première décision (à notre connaissance) sur la nouvelle possibilité offerte par le législateur à l’administration fiscale de demander la condamnation du contribuable ou d’un tiers qui serait en défaut de donner suite à un acte d’investigation.
Cette possibilité a été instaurée dans l’arsenal législatif (aussi bien en impôt sur les revenus qu’en TVA) par la loi du 20 novembre 2022. Il s’agit d’une action comme en référé que l’administration doit introduire devant le juge fiscal.
En l’espèce, le contribuable refusait de transmettre certaines données informatiques à l’administration.
Après avoir considéré que l’administration fiscale était en droit de demander la production de ces données, le Tribunal a condamné le contribuable au paiement d’une astreinte de 2.500 EUR par jour jusqu’à ce que les données aient été communiquées à l’administration, avec un plafond à 50.000 EUR.
Ce jugement s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle selon laquelle l’administration fiscale est en droit de demander la production d’une copie de l’ensemble des données informatiques (serveur, boite e-mails, cloud , etc.), après que la correspondance entre le contribuable et son ou ses avocats aient été exfiltrée. A titre illustratif, la Cour d’appel de Gand a considéré dans un arrêt 28 novembre 2023, en matière de TVA, que l’administration fiscale était autorisée à requérir la production des boîtes e-mails utilisées à des fins professionnelles même si celles-ci contiennent de la correspondance de nature privée, sans y voir une violation injustifiée du droit au respect de la vie privée consacré à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Gand, 28 novembre 2023, Rôle n° 2022/AR/1414).
Cette nouvelle action en référé pourrait avoir le mérite de clarifier certaines dispositions en matière d’investigation qui font souvent l’objet de discussions entre le contribuable et l’administration. On peut toutefois regretter que la possibilité de saisir, comme en référé, le juge fiscal en cas de difficultés par rapport à un acte d’investigation ne soit ouverte qu’à l’administration fiscale. La possibilité pour le contribuable d’avoir un positionnement rapide d’un juge sur des difficultés rencontrées au stade du contrôle permettrait non seulement de s’assurer du respect de ses droits fondamentaux mais également de désengorger les juridictions fiscales.
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 18 juin 2024.