Le gouvernement De Wever l’a dit et répété, il entend solliciter les épaules les plus larges. Il leur sera demandé de fournir les efforts nécessaires dès lors que, par ailleurs, l’Etat procède également à sa cure d’assainissement. A côté d’une contribution de solidarité (la taxation des plus-values qui est en cours), il a été précisé dans l’accord de gouvernement : « La lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale est un élément essentiel d’un projet d’équité qui vise des contributions justes de chacun à la société. Lorsque certains […] échappent à leurs obligations fiscales, la pression fiscale pèse de manière disproportionnée sur les contribuables honnêtes. Cela mine la confiance dans le système et engendre des inégalités. En luttant activement contre la fraude et l’évasion fiscales, l’État renforce non seulement ses finances publiques, mais aussi le principe de solidarité, où chacun contribue aux services publics en fonction de ses capacités ».
C’est à l’occasion de ce chapitre relatif aux épaules les plus larges que le gouvernement a évoqué la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Les mesures annoncées à cet encontre sont très nombreuses : contrôles renforcés, engagement de 300 agents supplémentaires, formation, coopération entre les services, multidisciplinarité, datamining, accès au PCC, etc. La dernière mesure annoncée d’une petite phrase :
En concertation avec les régions, une nouvelle régularisation (para)fiscale permanente, plus stricte, est élaborée avec une augmentation des taux à 30% et 45%, sauf pour les contribuables pouvant démontrer leur bonne foi ».
De manière presque anecdotique et sibylline, le gouvernement a annoncé l’introduction d’une nouvelle DLU (déclaration libératoire unique) et ce, en concertation avec les régions. Il était fait état des déclarants de bonne foi qui bénéficieraient d’une exception (quant au principe ou quant au taux ?). Cette notion de contribuable de bonne foi a suscité énormément de discussions au sein du gouvernement et n’a finalement pas été reprise dans le texte du projet de loi.
Déjà quatre salves de régularisations ont eu lieu : la première en 2004, la fameuse DLU, celle qui ne devait avoir lieu qu’une seule fois. Entre 2006 et 2013, deux procédures de régularisation permanentes se sont succédées : la DLU bis et la DLU ter. Cette fois, pas de « cadeau » avec le paiement d’un montant forfaitaire. Le prélèvement dû équivalait à l’impôt éludé majoré d’une amende qui a augmenté au fur et à mesure du temps pour aller jusqu’à 10 points lors de la DLU bis et 15 ou 20 points en ce qui concerne la DLU ter. C’est à l’occasion de cette dernière que le gouvernement a introduit la notion de « capitaux prescrits » soumis alors à un taux forfaitaire. Si la DLU ter offrait la possibilité de régulariser les capitaux fiscalement prescrits, la DLU quater, en vigueur entre août 2016 et décembre 2023, a rendu cela obligatoire sauf à pouvoir démontrer, au moyen de documents écrits, que tout ou partie dudit capital avait subi son régime fiscal. Le prélèvement était majoré de 25 points en ce qui concerne les revenus non prescrits, et le capital prescrit était imposé au taux de 40% en fin de procédure. Des accords étaient par ailleurs intervenus avec les trois Régions qui ont toutefois mis fin au régime au 31 décembre 2020
Toute personne physique ou morale, c’est-à-dire :
Moyennant un prélèvement social complémentaire, les cotisations sociales non prescrites au sens de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, pourront également faire l’objet d’une déclaration-régularisation (à l’exclusion des cotisations prescrites).
Le prélèvement dû sera égal à la somme de l’impôt fédéral (quel qu’il soit) calculé à son taux normal, majoré d’une amende de 30 points, et il ne sera pas tenu compte de réductions d’impôt ou de crédits d’impôt ni d’aucune imputation de précompte de versements anticipés ou de prélèvements pour l’Etat de résidence.
Les opérations TVA régularisées donneront droit à un prélèvement égal à la taxe calculée au taux d’imposition normal, majoré d’une amende de 30 points, sauf lorsque la déclaration-régularisation donnera déjà lieu à la régularisation de ces opérations en tant que revenus professionnels. Il n’y aura donc pas un double prélèvement d’amende tant en matière de revenus professionnels que de TVA.
Les capitaux fiscalement prescrits donneront lieu à un prélèvement de 45%.
Enfin, les cotisations sociales régularisées entraineront un prélèvement forfaitaire unique de 20% des revenus professionnels qui auraient du être soumis à cotisations.
Tableau comparatif
Revenus non prescrits | Capitaux fiscalement prescrits | Régularisation de cotisations sociales indép. | |
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DLU IV | |||
01.01.2016 | 20 points | 36% | 15% |
01.01.2017 | 22 points | 37% | 17% |
01.01.2018 | 23 points | 38% | 18% |
01.01.2019 | 24 points | 39% | 19% |
01.01.2020 31.12.23 | 25 points | 40% | 20% |
DLU V[2] | |||
01.07.2025 | 30 points | 45% | 20% |
Dès lors que la DLU V est parfaite, les revenus, sommes ou opérations qui ont été régularisés ne seront plus ou ne pourront plus être, pour le surplus, soumis à l’impôt ni à aucune amende, accroissement ou intérêts de retard.
Par ailleurs, cette procédure de DLU diligentée par le contribuable ne pourra être utilisée comme indice ou indication pour effectuer des enquêtes ou des contrôles de nature fiscale, pour déclarer de possibles infractions fiscales ou pour échanger des renseignements, sauf en ce qui concerne la détermination des prélèvements dus en raison de la déclaration-régularisation, le montant des revenus, sommes, opérations TVA et capitaux régularisés.
Enfin, précisons que, comme par le passé, l’attestation de régularisation pourra être employée comme moyen de preuve devant les cours et tribunaux ainsi que devant les juridictions administratives ou à l’encontre de tout service public.
Comme en matière de DLUquater, les déclarants bénéficieront d’une exonération de poursuites pénales pour les infractions de fraude fiscale, faux fiscal et blanchiment des avantages tirés de ces infractions si et dans la mesure où ils n’avaient pas fait l’objet - avant l’introduction de la déclaration - d’une information ou d’une instruction judiciaire du chef de ces infractions et si la déclaration-régularisation a été effectuée dans les conditions fixées par la loi et que le prélèvement a été payé définitivement et sans aucune réserve.
A l’instar de ce qui avait été introduit par la DLU ter, reproduit dans la DLU quater, les déclarants pourraient - pour tous les délits autres que ceux visés ci-dessus - toujours faire l’objet de poursuites pénales mais seront cependant libres de sanctions en ce qui concerne les délits connexes, c’est-à-dire :
Cette exonération de sanction ne sera valable que si ces délits sont effectivement connexes, c’est-à-dire qu’ils ont été commis en vue de commettre ou de faciliter les infractions fiscales ou le blanchiment des avantages tirés de celles-ci.
Les exclusions sont identiques à celles prévues en matière de DLU ter et quater.
La procédure demeurera mutatis mutandis équivalente à celle qui était intervenue pour la DLU quater : le service compétent sera le Service des décisions anticipées et la déclaration-régularisation sera introduite auprès de celui-ci au moyen du formulaire qui sera établi par le Roi.
La déclaration-régularisation devra être accompagnée d’une explication succincte du schéma de fraude ainsi que de l’ampleur et de l’origine des revenus, sommes, opérations TVA et capitaux régularisés de la période pendant laquelle ceux-ci sont apparus et des comptes financiers utilisés pour les montants régularisés.
Le paiement du prélèvement devra s’effectuer dans les quinze jours calendrier qui suivent la date de l’envoi. Une fois que le paiement sera intervenu il sera définitivement acquis au Trésor.
Ledit paiement entrainera également la délivrance par le point de contact régularisation d’une attestation dont le modèle sera également fixé par le Roi et qui reprendra notamment le nom du déclarant et, le cas échéant, celui de son mandataire, le montant du prélèvement, le montant des revenus, les sommes, opérations TVA et capitaux régularisés.
Enfin, notons que l’attestation-régularisation une fois transmise au déclarant, sera également adressée par le point contact à la CTIF ainsi que les données de l’explication succincte, à l’exception du schéma de fraude.
Le point de contact numérotera et conservera les déclarations qui ont été effectuées auprès de son service et tiendra une liste des attestations régularisations qui ont été délivrées avec la référence adéquate.
L’objectif annoncé était une entrée en vigueur le 1er juillet 2025. On sait que le projet a été retardé à la Chambre. Cette entrée en vigueur ne pourra concerner que les régularisations visant les impôts relevant de la compétence de l’Etat fédéral.
Si des régularisations mixtes devaient être envisagées, il conviendra alors d’attendre les différentes législations des entités fédérées .
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Le gouvernement a repris au budget de l’Etat un montant de 75.000.000 euros par an. Il s’agit d’une estimation prudentielle.
En effet, le coût de cette nouvelle procédure de régularisation est techniquement très élevé : une personne qui régulariserait des revenus mobiliers non déclarés supportera un prélèvement total de 60% alors qu’une personne qui serait contrôlée par l’Inspection spéciale des impôts, sauf à démontrer des éléments aggravants, subirait un prélèvement total de 45% (30% d’impôt + 50% d’accroissements).
Evidemment, une personne en situation infractionnelle, tant en ce qui concerne les revenus non prescrits que le capital prescrit, aura intérêt à procéder à la DLU quinquies en vue d’obtenir l’immunité pénale.
Entre l’accord de gouvernement et l’accord de Pâques, de nombreuses discussions ont concerné les déclarants de bonne foi. Ainsi, il avait été d’abord convenu entre les différents partis formant la coalition, que la déclaration de régularisation serait ouverte, non seulement au fraudeur initial mais également aux ayants-droits de bonne foi.
L’on visait donc, notamment, des héritiers ou des donataires qui auraient respecté toutes les obligations fiscales leur incombant concernant la réception des fonds (mention dans la déclaration de succession et paiement des droits de succession ; donation déclarée et soumise au tarif des droits d’enregistrement ; etc.) mais qui seraient en défaut de pouvoir rapporter la preuve de ce que ces fonds auraient subi leur régime dans le chef de leur auteur. Un taux moindre avait été prévu (de moins 5% à moins 20%).
Toutefois, cette mention a été supprimée de l’avant-projet soumis au Conseil d’Etat.
Le débat concerne évidemment la question du lien entre la fraude fiscale et le blanchiment de l’avantage patrimonial tiré de cette infraction. Les partis opposés à la possibilité, pour un déclarant de bonne foi, de procéder à une régularisation estiment certainement que celle-ci est inutile, à défaut de pouvoir établir la moindre infraction dans le chef de cet ayant-droit de bonne foi.
D’autres, plus pragmatiques, se diront que ceux-ci (les héritiers ou donataires) seront toujours confrontés à l’écueil du refus par la banque récipiendaire de recevoir des sommes dont l’ayant-droit ne serait pas en mesure de prouver l’origine licite dans le chef de ses aïeux, se référant notamment à la circulaire du 8 juin 2021 de la Banque Nationale de Belgique.
Afin d’éviter toute contestation future, il eut été utile que les travaux préparatoires de la loi confirment de manière univoque, d’une part, qu’il n’y a pas à prévoir de déclaration pour des personnes ayant acquis les biens de bonne foi, à défaut d’être susceptibles de poursuites pénales et que, d’autre part, en toute hypothèse, les personnes ayant respecté les DLU précédentes, en ce compris ceux qui n’ont pas régularisé les capitaux prescrits lorsque ceci n’était pas prévu par les textes légaux ou lorsque cette régularisation n’était pas obligatoire (cf. DLUter) ne doivent pas faire l’objet d’une DLU quinquies à des fins de rapatriement, sauf à nier les effets (et les garanties…) offerts aux contribuables qui avaient décidé de souscrire à de telles procédures.
Cette précision est d’autant plus importante vu l’adaptation de l’article 505 du Code pénal par la loi du 18 janvier 2024 ayant abrogé l’article 505, alinéa 3 du Code pénal, selon lequel l’infraction de blanchiment pour les tiers à l’infraction de base avait trait exclusivement, pour les comportements visés aux 2° et 4°, à la fraude fiscale grave, organisée ou non lorsque l’infraction de base dont étaient tirés les avantages patrimoniaux blanchis relevait de la fraude fiscale.
Certes, l’article 505, alinéa 3 du Code pénal a été modifié en vue d’introduire une cause d’excuse absolutoire mais il n’en demeure pas moins que l’infraction de blanchiment existe aujourd’hui pour les tiers à l’infraction de base quelle que soit la nature de la fraude fiscale lorsque l’infraction sous-jacente relève de la fraude. Ces précisions seraient donc les bienvenues pour éviter à d’aucuns de proposer ou soutenir des solutions qui se veulent certes pragmatiques mais qui toutefois vont à l’encontre des principes fondamentaux en matière de droit pénal, d’une part, et de sécurité juridique d’autre part.
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[1] Encore une référence erronée, l’article 307, §1er, alinéa 3 n’impose pas la déclaration de revenus issus de produits d’assurance mais bien l’existence de contrats d’assurance.
[2] Pas définitif.
La Tetracademy est la revue trimestrielle juridique du cabinet d’affaires bruxellois Tetra Law. Cet article en est extrait. Pour plus d’informations ou pour recevoir chaque nouvelle publication, n’hésitez pas à suivre la Tetracademy en envoyant un email à tetracom@tetralaw.com ».