« Aujourd'hui, une grande partie des hommes et des femmes qui assurent notre santé, notre sécurité, notre approvisionnement, gagnent à peine douze euros de l'heure. Alors que des conseillers fiscaux qui aident les entreprises à échapper à l'impôt facturent leurs services à 400 euros de l'heure. Des métiers indispensables à la vie en commun sont sous-payés, alors que d'autres métiers, qui nuisent à l'intérêt général, gagnent des fortunes. C'est le monde à l'envers, et ça ne peut plus durer. Nous serons aux côtés de nos camarades des organisations syndicales pour que l'utilité sociale de tous ces métiers soit reconnue à sa juste valeur ». C’est la déclaration de Paul Magnette ce 1er mai, une profession de foi qui nous choque et qui ne peut pas rester sans une réaction mesurée. Nous avons donc décidé de rédiger une lettre ouverte à Paul Magnette, président du PS.
Le Forum For the Future est un forum (lieu de rencontre de nos professionnels) qui se veut orienter sur les enjeux futurs. La valorisation de notre profession est un enjeu majeur, tout comme une reflexion posée sur ce que tout le monde appelle "le monde d'après". En réagissant avec détermination, la profession fait un pas intéressant dans cette voie. Un pas avant un longue marche ?
(*) Publiée dans l’Echo ce week end en carte blanche, avec un taux de lecture élevé, reprise dans le Soir plus, 7sur7, la chaine LN24, lalibre.be, cette lettre ouverte a bénéficié d’une large couverture sur les réseaux sociaux ( Linkedin : plus de 20.000 vues, 60 partages). Des initiatives du même acabit ont été notamment diffusées par l’Itaa, l'Académie Fiscale, FECOFI, APCH et GFPC, la CBC Namur-Luxembourg et la.CBEC Liège et par différents avocats (M° Sabrina Scarnà - M° Roland Forestini) et autres praticiens en leurs diverses qualités (Vincent Delvaux - PFC Coppens et Gérard Delvaux). Elles sont consultables sur leurs sites respectifs et/ou via linkedin et/ou dans ce blog dans les meilleurs délais. Rayon médias, pointons également, en autres, Télésambre.
Cette lettre ouverte fut encore relayée avec succès par le Ministre de tutelle Denis Ducarme et retweeté avec intérêt par diverses personnalités politiques qui montre ici un intérêt pour notre profession. Un pas intéressant dans la valorisation de notre secteur !
Je voudrais tant que tu apprennes à nous connaitre. Nous, fiscalistes, ou conseils fiscaux. Bientôt on nous appellera « conseillers fiscaux », un nouveau titre pour remplacer les deux premiers. La loi l’a voulu ainsi.
Nous sommes quelques milliers en Belgique. Nous travaillons pour la plupart en fiduciaire ou en bureau de conseils fiscaux. Notre crédo : assister l’économie. Notre réalité principale : assister la petite économie. Le tissu économique belge est ainsi fait que l’essentiel des acteurs sont soit des indépendants, soit des micro-entités (des petites entreprises sans employé). Pour être précis, et selon le rapport du SPF Economie, 80% de nos « PME » n’ont pas d’employé et 97% en ont moins de 10. L’essentiel de nos efforts et de notre clientèle est ainsi constitué de petits acteurs.
Ces (20) dernières années furent difficiles. Vraiment difficiles. En cause une législation galopante et changeante à souhait, une accumulation pléthorique de nouvelles dispositions et obligations, des règles de plus en plus exigeantes et un contexte digital accélérateur. Conséquence inévitable, nous, professionnels de la comptabilité et de la fiscalité, devons amplifier les efforts à produire pour servir au mieux nos clients « sous pression ».
Étonnamment pourtant, jamais depuis que nous exerçons, nous n’avons l’impression que notre capital confiance a diminué. Le capital confiance, c’est ce qui mesure le niveau qualitatif d’une relation professionnelle entre deux personnes. L’appréciation d’une relation, c’est le résultat des attentes : l’écoute, la compréhension, le réconfort, et bien sûr in fine, la résolution de problèmes et l’exécution assistée d’obligations, souvent techniques. Avec nos moyens limités, nos professionnels jouent, chacun à leur niveau, la carte de la disponibilité et de l’assistance. La même carte qu’ils jouent d’ailleurs une fois de plus dans le cadre de la crise sanitaire, celle durant laquelle une bonne part de nos clients les plus affectés s’inquiètent, s’agitent et s’affaiblissent au risque de disparaitre.
Mais savez-vous à quoi nous contribuons quotidiennement mon cher président ? Par exemple, savez-vous que vos « gentils serviteurs » participent à collecter chaque année (base 2018), 70 milliards en impôts sur les revenus, 31 milliards en TVA et 6 milliards en droits et taxes indirectes diverses.
Le produit de notre assistance participe finalement donc bien au succès de vos politiques publiques, ou du moins de vos recettes publiques. En 2018, nous avons contribué à la collecte mutuelle de 44,8% du PIB de taxes et assimilés, selon la très sérieuse OCDE, ce qui place la Belgique dans le trio mondial. Avouez-le, mon cher président, ce n’est pas si mal pour des professionnels « qui nuisent à l'intérêt général ».
Vous avez raison finalement, « c’est bien le monde à l’envers ». Nous collectons avec succès, nous assistons avec détermination, mais in fine de la crise, vous rêvez d’en devenir le seul et unique héros. Vous vous présentez comme le gardien des valeurs morales et humaines et le défenseur de la veuve, du pauvre et de l’orphelin. Tandis que nous… ne serions que nuisance, un vrai « monde à l’envers ».
Nous sommes des travailleurs acharnés, mobilisés et bien intentionnés, quels que soient les contextes. Nos contextes ? Tantôt une déficience informatique publique qui massacre nos congés, nos weekends et notre vie de famille, réduisant nos liens sociaux et notre bien-être, tantôt une reforme impactante publiée le 31 décembre ou enfin dernièrement une crise pandémique emportant avec fracas des clients fragilisés qui rythme notre inconfort professionnel. Notre contexte, ce n’est pas l’aisance ou l’opulence, ni le taux horaire exorbitant illustré dans vos propos, dont nous rêvons peut-être, mais que nous n’atteindrons jamais, même la moitié ou le huitième pour certains.
Nous sommes des professionnels de valeur qui investissons dans notre formation mais aussi qui croyons en la solidarité, l’assistance et les vertus du vivre ensemble.
Nous sommes des entrepreneurs au service des entrepreneurs. Des entrepreneurs qui souffrent et se battent pour gagner leur pain. Qui connaissent aussi les impayés, la précarité ou la crise.
Quant à l’utilité sociale dont vous souhaitez être l’égérie, elle repose sur le sens que peut représenter une action d’un individu ou d’un groupe vis-à-vis de la société. Et sur ce point, croyez le bien, nous ressentons pleinement, aujourd’hui, le sens et l’importance de notre fonction, conscients de son utilité auprès de notre société et de ses acteurs en dérive. Dès lors, et si vous en admettez la juste définition, j’imagine que nous recevrons prochainement vos excuses, voire peut-être même vos remerciements…
Mon cher président, apprenez à nous connaitre. Venez bosser avec nous une semaine. Vous verrez que nous ne facturons pas 400 euros par heure. Laissez les images médiatiques au fond de votre sac, et votre projet révolutionnaire loin de nous. Éloignez-nous de vos oppositions simplistes de la santé contre l’économie, du petit contre le grand, du travailleur contre l’indépendant ou du fonctionnaire fiscal contre le fiscaliste. Ce temps est loin. Laissez nos professionnels agir comme les vrais médecins de la petite économie et reconnaissez nous dans ce rôle ingrat, comme vous le claironner si facilement quand vous parlez des efforts réels et exceptionnels du secteur de la santé. Nous aussi nous aimons agitez les casseroles du merci à 20:00, aux bords de nos fenêtres, mais souvent ces fenêtres sont celles de nos bureaux.
Finalement la différence entre vous et nous, c’est peut-être bien le capital confiance. Un héritage lourd et difficile à entretenir à notre époque, et il faut bien le reconnaitre, un capital confiance que nos professionnels entretiennent parfaitement par leur travail et leur engagement quotidien. Interrogez-vous sur cette confiance. Réfléchissez à votre ton, votre discours caricatural et vos promesses non tenues, lit progressif d’un capital défiance.
Mon cher président, une bonne fois pour toutes, apprenez à nous connaître, vous découvrirez notre ton sincère, la nature de notre métier et notre loyal et irascible engagement.
Et espérons-le, vous découvrirez aussi une profonde source d’inspiration pour vos lendemains apaisés.