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Taxe Caïman 2.1: annulation partielle par la Cour constitutionnelle

L’arrêt de la Cour constitutionnelle qui devait se prononcer sur les trois requêtes en annulation partielle introduites à l’encontre de la taxe caïman 2.1 était très attendu. Au terme des 112 pages qui composent l’arrêt, la Cour constitutionnelle annule partiellement, avec effet rétroactif, certaines des dispositions introduites par la loi-programme du 22 décembre 2023.

CONTEXTE – La taxe caïman a été instaurée dans le Code des impôts sur les revenus par une loi-programme du 10 août 2015 (M.B. ,18 août 2015). Depuis son entrée en vigueur, le 1er janvier 2015, le régime a subi de nombreuses modifications, dont notamment une réforme importante issue de la loi-programme du 25 décembre 2017 (M.B. , 29 décembre 2017) et, plus récemment, une réforme issue de la loi-programme du 22 décembre 2023 (M.B. 29 décembre 2023).

La taxe caïman a pour but de rendre inefficient, du point de vue de l’impôt sur les revenus, le recours à des structures patrimoniales, généralement peu ou pas taxées, appelées « constructions juridiques », en imposant le « fondateur » (résident belge) de cette construction juridique sur les revenus de celle-ci comme s’il les avait perçus directement. Afin d’éviter une double imposition, les revenus ayant déjà subi l’impôt en transparence sont exonérés lors de leur distribution effective. Certaines exceptions à l’application du régime existent également lorsque la construction juridique justifie d’une substance suffisante.

Par la loi-programme du 22 décembre 2023, le législateur entendait apporter des ajustements ciblés à la taxe caïman, en réponse aux critiques formulées par la Cour des comptes, faisant ainsi évoluer le régime vers une version 2.1, sans, toutefois, procéder à une réforme profonde. Au terme de cette refonte, plusieurs dispositions ont été introduites ou modifiées (e.g. introduction d’une exit tax lorsque le fondateur transfère son domicile fiscal à l'étranger, renforcement de l’exception de substance, durcissement de l’exonération pour les revenus déjà taxés en transparence, élargissement de la notion de fonds dédié, introduction d’une annexe obligatoire à la déclaration, etc.).

Au stade de l’adoption de cette version 2.1, de nombreuses critiques, relayées notamment par des praticiens, avaient été émises : manque de clarté, risque de double imposition, effets jugés disproportionnés en l’absence d’exception pour les opérations à but non fiscal, etc

Autant de critiques qui ont nourri les recours en annulation introduits auprès de la Cour constitutionnelle arguant notamment d’une violation des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination.


L’ARRÊT - La Cour constitutionnelle a annulé plusieurs dispositions introduites par la réforme de la taxe Caïman. Cet arrêt apporte des clarifications importantes.

L’exception de substance

La loi nouvelle avait considérablement restreint l’exception de substance en la limitant aux entités exerçant une « activité économique » consistant exclusivement en l’offre de biens ou de services sur un marché déterminé.

La Cour a jugé que cette restriction était excessive. Elle a estimé que le contribuable doit pouvoir prouver, sous le contrôle d’un juge, que la construction juridique n’est pas un montage artificiel dépourvu de réalité économique et précise que la simple gestion d’actifs ne permet pas, à elle seule, d’établir l’existence d’un montage artificiel.

Attention toutefois, elle indique que la seule gestion du patrimoine du fondateur ne constitue pas une véritable activité économique. Les sociétés purement patrimoniales demeurent donc soumises au régime de la taxe caïman.

La combinaisons de la taxe caïman avec les règles CFC

La loi nouvelle prévoyait une exception à l’application de la taxe caïman lorsque les revenus d’une construction juridique étaient déjà, en vertu du régime CFC, ajoutés à la base imposable de la société mère (qualifiée de société intermédiaire) mais uniquement lorsque cette dernière était belge.

La Cour a jugé que la disposition qui limitait l’exemption de la taxe Caïman ,en vertu de règles CFC, aux seuls cas où les revenus de la construction juridique sont imputés à une société belge était non raisonnablement justifiée, dès lors que ce régime vise à assurer que les revenus sont effectivement imposés, que la société intermédiaire soit belge ou établie dans un autre État membre.

Limitation de l’exit tax

Le législateur avait introduit un mécanisme d’exit tax visant à imposer les bénéfices non distribués d’une construction juridique, y compris lorsqu’ils avaient été réalisés à une époque où le fondateur n’était pas encore résident belge.

La Cour a annulé cette disposition dans la mesure où elle excédait la compétence fiscale de la Belgique. L’exit tax ne pourra viser que les revenus mis en réserve durant la période de résidence belge du fondateur. En outre, la Cour a précisé que la notion de « revenus non distribués » vise exclusivement les revenus mis en réserve et non les plus-values latentes, ce que nous avions toujours soutenu.

La notion de fonds dédiés

Dans la loi nouvelle, le législateur avait maintenu l’exclusion générale des OPC du champ de la taxe Caïman, tout en introduisant un seuil maximum de détention : un OPC détenu à plus de 50 % par une même personne ou par des personnes liées devait être qualifié de construction juridique.

La Cour a confirmé la pertinence d’un mécanisme de seuil, mais a jugé celui de 50 % disproportionné. Selon elle, un OPC détenu à plus de 50 % par une même personne ou par des personnes liées n’est pas automatiquement constitutif d’un montage abusif. Elle a annulé la disposition en ce qu’elle ne permettait pas au contribuable de prouver que, dans un cas particulier, une telle détention n’avait pas de caractère abusif.

Pour le surplus, la Cour rejette les recours.

Bien que peu satisfaisant à certains égards, l’arrêt comporte des avancées importantes.

Il représente une évolution positive pour les fonds d’investissement en lancement, qui pourront désormais renverser la présomption automatique de construction juridique en cas de détention à plus de 50 % par les investisseurs initiaux (seeders) durant les premières phases de développement du fonds. C’est également une avancée pour les holdings, la Cour ayant confirmé qu’on ne peut nier leur substance qui consiste précisément en la gestion d’actifs. La Cour assimile le défaut de substance au caractère artificiel de l’opération.

On peut toutefois regretter que la Cour ait maintenu la taxation, lors de leur distribution, des revenus préalablement exonérés en transparence. Cette question perdra néanmoins bientôt de sa portée, dans la mesure où les plus-values seront prochainement soumises à un impôt de 10 % en transparence et, par conséquent, exonérées lors de leur distribution. L’on regrette également que la Cour ait maintenu la notion de « construction intermédiaire », perpétuant ainsi une complexification importante du régime Caïman sans véritable bénéfice pour les finances publiques belges.

Voyons donc comment le législateur reverra sa copie.

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