Veille fiscale : que retenir des mois de juillet, août et septembre 2024?

1) Cassation 20 juin 2024 : la transaction pénale n’est pas déductible conformément à l’article 53,6° du CIR

Rôle n° F.21.0034.N

Dans la pratique, la question se posait de savoir si la somme payée en vertu de l’article 216bis du Code d'instruction criminelle dans le cadre d’une transaction pénale constitue une amende transactionnelle non déductible en vertu de l’article 53, 6° du CIR 92.

L’article 53,6° CIR 1992 (dans sa version applicable à l’affaire en question) disposait que :

« les amendes, y compris les amendes transactionnelles, les amendes administratives infligées par des autorités publiques, même lorsque ces amendes n'ont pas le caractère d'une sanction pénale et même lorsque leur montant est calculé sur la base d'un impôt déductible, les confiscations et les pénalités de toute nature, même si ces amendes ou pénalités sont encourues par une personne qui perçoit du contribuable des rémunérations visées à l'article 30 » (nous soulignons).

Pour rappel, la transaction pénale permet au ministère public de mettre fin à une action publique en échange du paiement d’une somme par le suspect d’une infraction (article 216bis C.I.cr.).

La Cour de Cassation a tranché cette question en jugeant que, selon les travaux préparatoires de l’article 53,6° CIR 92, une amende transactionnelle est définie comme « la somme qu’un accusé paie à l’État belge pour mettre fin à une action en justice intentée par le ministère public ». Dès lors, la transaction pénale, définie à l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, comme la somme d’argent versée par l’auteur d’une infraction pour arrêter l’action publique, doit être considérée comme une amende transactionnelle, quand bien même si celle-ci est payée sans qu’une condamnation n’intervienne.


2) Cour d’appel de Bruxelles, 28 mai 2024 : les frais de réception ne sont pas assimilables à des frais de publicité, même s'ils servent un objectif publicitaire.

Rôle n° 2019/AF/344 :

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 28 mai 2024 concernant la déduction au titre de frais de publicité des dépenses exposées par une société automobile pour l’organisation d’une série d’évènement comme les journées portes ouvertes. L'administration avait qualifiés ces dépenses de « frais de réception », limitant ainsi leur déduction à 50 % (art. 53,8 CIR 92).

En première instance et en appel, il avait été jugé que les frais en question étaient des frais publicitaires au motif que les évènements en question avaient été organisés à des fins publicitaires (les journées portes ouvertes avaient été organisées pour l'ouverture d'une nouvelle salle d'exposition pour une marque automobile, les journées de contact avec les entreprises étaient axées sur la présentation et la vente de véhicules utilitaires, un autre évènement avait été organisé pour la présentation du nouveau modèle et concernait la promotion spécifique d'un nouveau modèle, etc.).

L’administration, inquiète des répercussions de l’arrêt s’est alors pourvue en cassation, ce qui a permis à la Cour de cassation de préciser les contours de la notion de frais de réception.

Selon la Cour de cassation, les frais de réception incluent toutes les dépenses liées à l'accueil de tiers dans le cadre de ses relations extérieures, qu'elles soient ou non exposés à des fins publicitaires (Cass., 22 mars 2019, F.17.0160.N). En d’autres mots, la distinction entre les frais de publicité et de réception doit se faire sur base de la nature objective des frais, et non au regard de l’intention qui a animé le contribuable. L’arrêt de la Cour d’appel de Gand ayant considéré que les dépenses en question étaient des frais de réception car exposées à des fins publicitaires fut alors cassé et l’affaire renvoyée devant la Cour d’appel de Bruxelles.

Se basant sur l’arrêt de la Cour de cassation et le commentaire administratif 53/144, la Cour d’appel de Bruxelles a par conséquent considéré que les frais liés à la réception donnée pour l’ouverture du showroom devaient être qualifiés de frais de réception, déductibles à seulement 50%, et non des frais de publicité, quand bien même ils auraient été exposés à des fins de publicité (Com. IR 92, n° 53/144 ; Cour d’appel de Bruxelles, 28 mai 2024, rôle n° 2019/AF/344).

En bref, selon la Cour d’appel de Bruxelles, les frais de réception engagés dans le cadre d'opérations publicitaires ne perdent pas la nature de frais de réception et entrent dans le champ d'application de l'art. 53, 8° CIR 92.

Il convient de souligner que le ministre des Finances Johan Klaps avait soutenu une position contraire en réponse à une question parlementaire posée en 2018 en affirmant que des frais de nourriture, de boissons et de catering exposés dans le cadre d’un événement publicitaire destiné à des clients existants ou potentiels, étaient déductibles à 100% en tant que frais de publicité.

A la suite de l’arrêt de la Cour de cassation précité, le ministre des Finances ayant succédé à Monsieur Klaps a indiqué qu’il ne partageait pas la position de son prédécesseur et suivait l’arrêt de la Cour de cassation. La circulaire 2020/C/42 a été prise en ce sens.

Enfin, il convient de rappeler que les frais se rapportant à une activité qui a principalement et directement pour but d'informer les acheteurs potentiels de l'existence et des qualités d'un produit ou d'un service en vue d'en favoriser la vente ne constituent pas des « frais de réception » dont la TVA n’est pas déductible mais des frais de publicité (Cass. 11 mars 2010, N° F.09.0019.N.). L’objectif recherché en exposant les frais est donc pertinent, à l’inverse de l’impôt sur les revenus.


3) Arrêt Drebers (C-243/23) : la CJUE remet en question les règles belges de révision de la TVA pour travaux de rénovation

Le 12 septembre 2024, dans l'affaire C-243/23 Drebers, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les règles belges concernant la révision de la TVA pour les travaux de rénovation violent la Directive TVA de l'UE. Le litige concernait un cabinet d'avocats belge ayant réalisé d'importants travaux de rénovation sur un immeuble entre 2007 et 2015. Ces rénovations comprenaient l’aménagement d’une salle d'archives, la construction d’un immeuble annexe, ainsi que la rénovation complète des systèmes de gaz, d'eau et d'électricité, et des modifications structurelles du toit, des murs et des planchers.

En droit belge, le délai de révision pour les travaux immobiliers est fixé à 5 ans, sauf si ceux-ci mènent à la construction d’un « bâtiment neuf ».

A la suite de l’exonération de la la suppression de l'exonération de TVA pour les avocats en 2014, le cabinet a demandé à déduire la TVA payée sur ces rénovations en opérant une révision positive, invoquant la période prolongée de révision de 15 ans applicable aux biens d'investissement immobiliers. Grosso modo, l’administration fiscale belge rejeta cette demande, estimant que les rénovations en question n’avaient pas contribué à la création d'un « bâtiment neuf » après rénovation, et que la période de révision 5 ans devait par conséquent s'appliquer, même si, en raison de leur nature et de leur ampleur, ces travaux prolongent la durée de vie économique de l'immeuble.

En réponse à une question préjudicielle concernant la conformité des règles belges avec la directive TVA, la CJUE a jugé que le droit belge était trop restrictif en ne permettant une révision de la TVA grevant les travaux immobiliers sur 15 ans que si ceux-ci mènent à la création d’un bâtiment neuf au sens de la TVA. La Cour a établi que les travaux de rénovation ayant un impact économique comparable à celui d’une nouvelle construction, en termes de prolongation de la durée de vie du bâtiment, ne pouvaient pas être soumis à une période de révision différente et de surcroit plus courte.

Enfin, la Cour a affirmé que la disposition pertinente (article 187 de la Directive TVA) avait un effet direct et pouvait donc être directement invoquée par les contribuables belges, sans qu’il faille attendre que la législation belge soit modifiée.


4) Gand, 25 juin 2024 : plusieurs points intéressants en matière de procédure fiscale à l’impôt sur les revenus

Rôle n° 2023/AR/264, 2023/AR/1548

La Cour d’appel de Gand a rendu le 25 juin 2024 un arrêt intéressant à plusieurs égards en matière de procédure fiscale en impôt sur les revenus.

Grosso modo, l’administration fiscale avait effectué une visite fiscale et pris tous les documents numériques et papiers trouvés sur place, sans se limiter à ceux portant sur la période d’investigation ordinaire, alors qu’aucune notification d’indices n’avait été adressée au préalable et qu’elle avait indiqué limiter son contrôle lors de la visite aux années comprises dans le délai ordinaire d’investigation.

A la demande du responsable financier du contribuable, les données copiées avaient été placées sous scellé dans l’attente d’être filtrées, notamment parce que certaines d’entres elles étaient privées.

L’administration souhaitait utiliser des documents portant sur la période antérieure au délai ordinaire d’investigation pour établir les revenus d’années comprise dans le délai ordinaire d’investigation.

Parmi ces documents figuraient la correspondance du contribuable avec ses avocats et son ou ses comptables/experts-comptables.

La Cour d’appel de Gand a considéré qu’il serait incompatible avec la nature ciblée d’un contrôle fiscal (en l'occurrence, une visite fiscale) que des données non liées à la période examinée puissent être consultées de manière générale lors de ce contrôle. Autrement, les contrôleurs pourraient copier à tout moment l’intégralité des dossiers, mettre sous scellés ceux qui porteraient sur la période antérieure au délai ordinaire d’investigation pour les utiliser antérieurement après avoir envoyé une notification d’indices de fraude visant à prolonger le délai d’investigation.

En ce qui concerne le secret professionnel, la Cour a rappelé que celui-ci portait sur tout échange avec les personnes soumises au secret professionnel, en ce compris les échanges relatifs avec les conseils juridiques, sans se limiter à ceux relatifs à la représentation du client dans un procès en cours et, plus spécifiquement, sans se limiter aux échanges relatifs à la procédure en rapport avec le contrôle effectué.

Selon l’administration fiscale, les contribuables ne pouvaient invoquer l’article 334 CIR 92 (qui prévoit l’intervention de l’autorité disciplinaire avant la consultation par l’administration de document couvert par le secret professionnel) parce qu’ils n’étaient pas eux-mêmes détenteurs du secret professionnel.

La Cour d’appel n’a pas suivi l’administration et a considéré que les termes « lorsque la personne requise en vertu des articles 315, alinéas 1er et 2, 315bis, alinéas 1er à 3, 316 et 322 à 324, se prévaut du secret professionnel » de l’article 334 CIR impliquent que toute personne invitée à produire des documents et informations en application des dispositions précitées peut se prévaloir du secret professionnel, même lorsqu’elle n’est pas détenteur du secret professionnel.

La Cour a également jugé que l’article 334CIR 92 pouvait également être invoqué par le contribuable en ce qui concerne la correspondance avec des personnes soumises au secret professionnel qui n’interviennent pas dans le droit de la défense (autrement dit, des personnes autres que des avocats).


Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 24 septembre 2024.​


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