Plus de cinq ans depuis la proposition de la Commission et quatre après l'adoption par le Parlement européen de sa position de soutien sur le projet lié aux rapports pays par pays, les gouvernements de l'UE vont d’ici peu (enfin) rapidement s'assoir à la table des négociations interinstitutionnelles ...
A bien y réfléchir, il est des questions qui paraissent parfois simples et dont la pratique nous enseigne que les réponses le sont beaucoup moins. Parce qu’elle a régulièrement défrayé la chronique au cours des dernières années, la thématique de la transparence fiscale, pays par pays, qui nous occupe aujourd’hui, est manifestement une belle illustration de ces discussions à bâtons rompus et d’âpres négociations autour d’un principe légitime, mais dont la mise en œuvre ne manque pas de susciter bon nombre d’interrogations, suivies d’autant de révisions du texte originel.
Petit rappel des tenants et aboutissants, mise en perspective et calendrier pour comprendre la portée de cette thématique en portant un regard objectif au travers cette brève chronologie et de nombreux documents de référence sur la route de la transparence fiscale publique dans l’UE.
Dans la foulée des scandales des Panama Papers et des LuxLeaks, c’est déjà en août 2016 que la Commission européenne a mis sur la table une proposition de révision de la directive 2013/34/UE) (dite « directive comptable ») visant à introduire dans le droit de l'Union européenne un système de déclaration pays par pays publique (« country by country reporting – CBCR ») pour certaines grandes entreprises exerçant leurs activités dans l’Union.
En réaction à la vague de révélations et scandales sur les manœuvres d’optimisation fiscale des multinationales, il s’agissait de poser les jalons d’une approche plus équitable et transparente de la fiscalité au sein de l’Union, pour tenter d’imposer plus de transparence aux entreprises, dans le monde entier, notammenten contraignant certaines grandes entreprises à révéler leur chiffre d'affaires, leurs bénéfices, ainsi que l'assiette fiscale et les impôts payés dans les différents pays où elles opèrent …
Cette proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices obligerait les entreprises multinationales qui exercent leurs activités dans l’Union et dont le chiffre d’affaires global dépasse 750 millions d’euros par an à publier des informations clés, pays par pays, sur le lieu où elles réalisent leurs bénéfices et celui où elles paient leurs impôts dans l’Union (voyez Introducing public country-by-country reporting for multinational enterprises - Questions & Answers).
Les mêmes règles s’appliqueraient aux multinationales non européennes exerçant des activités en Europe. En outre, les entreprises devraient publier un chiffre global pour l’ensemble des impôts payés en dehors de l’Union. La proposition prévoit également de renforcer les obligations de transparence pour les activités des entreprises exercées dans des pays qui ne respectent pas les normes internationales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal (liste EU des paradis fiscaux), commentée dans un récent article.
Au final, les rapports publics pays par pays obligeront les multinationales à faire preuve de transparence financière en ce qui concerne l'endroit où elles réalisent des bénéfices et où elles paient des impôts. De la sorte, le public et les autorités fiscales auront une vision des impôts payés et des lieux où ils le sont.
Si le CBCR (country-by-country reporting ou, en français, rapportage pays par pays) compte effectivement parmi les balises clés sur la route d’une plus grande transparence fiscale, le constat trouve sa pertinence dans l’obligation ainsi faites aux multinationales de rendre public le réseau complet de leurs filiales et de leurs pays d’implantation et, pour chacune d’entre elles, au moins les données suivantes : une description de la nature de leurs activités, le nombre de salariés, les profits déclarés et les impôts réellement payés.
D’un point de vue méthodologique, la Commission a opté pour une modification de la directive comptable(directive 2013/34/UE) pour que les grands groupes soient tenus de publier chaque année un rapport indiquant leurs bénéfices, ainsi que les impôts dus et payés, dans chaque État membre. Elle passe donc par le droit des sociétés, qui ne relève pas de l’unanimité au Conseil, pour atteindre des objectifs en matière de politique fiscale, qui relève, elle, de l'unanimité.
Intégrée dans les initiatives de la Commission visant à lutter contre l’évasion fiscale (IP/16/159), ce projet de directive fait partie des mesures réglementaires de l'UE visant à mettre en œuvre le plan d'action 13 de l'OCDE sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (voyez plan d’action BEPS de l’OCDE).
Structurellement, cette proposition de directive est également liée à la révision de la directive 2011/16/UE du Conseil relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal qui établit toutes les procédures et qui nécessaires et définit la structure d’une plate-forme sécurisée pour la coopération. Connue sous le sigle DAC, cette coopération administrative en matière de fiscalité directe entre les autorités compétentes des États membres contribue à garantir que tous les contribuables paient leur juste part de la charge fiscale, indépendamment du pays dans lequel ils travaillent, prennent leur retraite, possèdent un compte bancaire et investissent ou font des affaires.
DAC : un dossier en pleine évolution !!!
Depuis son adoption, la directive 2011/16/UE initiale a été modifiée à plusieurs reprises dans le but de renforcer la coopération administrative et l’échange de renseignements entre les États membres (Chronologie des directives et des règlements d’exécution) au cours des récentes années.
L’échange automatique et obligatoire d’informations en matière fiscale est internationalement reconnu, au niveau du G20, de l’OCDE et de l’Union européenne, comme l’instrument le plus efficace au service de cette transparence fiscale internationale.
Sont aujourd’hui comprises dans la coopération administrative entre autorités fiscales informations relatives aux comptes financiers, les décisions fiscales anticipées et les accords préalables en matière de prix de transfert, les déclarations pays par pays, les bénéficiaires effectifs, les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration et les plateformes numériques (à partir du 1er janvier 2023). Parmi ces directives modificatives de la directive 2011/16/UE, pointons plus particulièrement la Directive 2016/881/EU du Conseil du 25 mai 2016 sur l’échange automatique d'informations sur les déclarations pays par pays et la Directive 2018/822/UE du Conseil du 25 mai 2018 en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration.
Last but not least, comme déjà signalé plus en détail dans cet article, la Commission a publié il y a peu une feuille de route afin d’étendre l’échange automatique d’informations aux crypto-actifs et à la monnaie électronique (DAC 8).
Comment les choses ont-elles évoluées par la suite ? Même si la bataille politique y fut souvent ardue, le 4 juillet 2017, le Parlement européen a adopté ses amendements à la proposition de la Commission. Il a ensuite reconfirmé sa position en première lecture le 27 mars 2019. Le 24 octobre 2019, les députés ont adopté une résolution forte appelant les États membres à sortir de l'impasse et à lancer les négociations interinstitutionnelles (voyez la fiche de procédure).
Conformément aux mesures proposées, les informations relatives à l’impôt sur les bénéfices des multinationales dont le chiffre d’affaires mondial s’élève au moins à 750 millions d’euros seraient publiées selon un modèle commun, dans chaque juridiction fiscale dans laquelle l’entreprise ou une succursale opère. Ces données seraient disponibles gratuitement et accessibles publiquement sur le site internet de l’entreprise.
L’entreprise devrait par ailleurs remplir un rapport dans un registre public géré par la Commission européenne.
Les informations incluraient les points suivants :
· le nom de l’entreprise et, le cas échéant, la liste de l’ensemble de ses filiales, une brève description de la nature de leurs activités et leur situation géographique respective;
· le nombre de salariés employés en équivalent temps plein;
· le montant du chiffre d’affaires net;
· le capital social;
· le montant des profits ou pertes avant l’impôt sur les bénéfices;
· le montant d’impôt sur les bénéfices payé durant l'exercice financier concerné par les entreprises et succursales résidentes fiscales dans la juridiction fiscale concernée;
· le montant des bénéfices non distribués; et
· le cas échéant, le fait que les entreprises, les filiales ou les succursales bénéficient d’un traitement fiscal préférentiel.
Au final, la position du Parlement représente un ajout par rapport à la proposition originale de la Commission, tout en autorisant une dérogation renouvelable indéfiniment qui permet aux entreprises d’occulter des chiffres « commercialement sensibles ».
Plus concrètement :
Fumée blanche, des perspectives et des dates, on pourrait difficilement mieux résumer la situation actuelle et son évolution probable depuis le 25 février 2021
Après presque cinq années de remise au placard du dossier, c’est une avancée majeure sur le chemin vers plus de transparence fiscale en Europe que le Conseil de l’UE a accompli en remettant sur les rails le projet de directive sur la base de la position déjà adoptée par le PE en 2017.
Nous avons besoin de systèmes fiscaux justes et efficaces ainsi que de débats publics éclairés», a soutenu la commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness dans sa Keynote speech (Commissioner McGuinness at the European Parliamentary Financial Services Forum Winter Conference, 'What Vision for Europe?').
Restait alors à sceller cette approche générale entre les 27 pays européens : ce nouveau cap a été franchi ce 3 mars 2021 en sorte que les pourparlers entre le Parlement, le Conseil et la Commission sur la base de la position déjà adoptée par le PE en 2017 pourront rapidement s’ouvrir dans le cadre des négociations interstitutionelles pour aboutir à l’adoption de la directive généralisant le CBCR, laquelle devra ensuite être transposée dans la législation nationale de tous les États membres de l’Union, dans un délai d’un an à compter de son entrée en vigueur.
Attention : le texte adopté ne couvre pas tous les pays, mais seulement les pays de l’Union européenne et ceux de la liste des paradis fiscaux européens. De plus, il offre encore aux entreprises la possibilité de ne pas divulguer certaines informations si elles estiment que cela porterait atteinte à leur compétitivité. Dès qu’un État membre octroie une exemption, il doit informer la Commission européenne, de façon confidentielle, sur les informations omises et fournir une explication détaillée de l’exemption. La Commission publiera tous les ans sur son site internet une liste des entreprises qui ont bénéficié d’exemptions et une brève explication de ces exemptions.
Compte tenu du contexte pandémique, on veut d’autant plus croire à cette percée en matière d’équité fiscale dans l’Union. Un projet ambitieux, mais bien actuel en termes de justice entre tous les contribuables.