Nous découvrons dans « Taxwin » de ce vendredi 5 juillet 2024 un article intitulé « Les Sociétés Civiles immobilières (SCI) françaises doivent-elles être déclarées dans le cadre de la taxe Caïman 3.0 ? » de Madame Valérie-Anne de Brauwere et Monsieur Nicolas Themelin.
Rappelons que suite à une modification de la législation fiscale en décembre 2023 concernant le champ de la taxe dite Caïman plurent des articles dans les grands médias et sur la toile de presque tous les conseils fiscaux et/ou financiers annonçant des désastres fiscaux pour les détenteurs résidents belges de sociétés immobilières françaises qui n’en demandaient pas autant. Les SCI françaises étaient donc désormais visées par l’application d’une transparence fiscale vu que lors du calcul d’un test dit des 1% il faudrait, peut-être mais c’était écrit par eux, tenir compte d’un avantage anormal et bénévole. Même si elles se contentaient de mettre à disposition gratuitement un immeuble, pas grave un revenu cadastral belge devrait être déclaré en Belgique dans les mains de l’associé et comme il n’y avait pas d’imposition effective en France, la nouvelle convention fiscale entre la France et la Belgique impliquait une proche taxation plein pot en Belgique.
Au vu du mouvement de panique créé par ces délires Monsieur Alain Lacourt fut assez clair sur la question dans un écrit du 26 mai 2024 « Non, une SCI n'entre pas dans le champ de la nouvelle version de la taxe Caïman! ». Dans un autre article du 26 juin le même, commentant un arrêt de la Cour de Cassation du 25 avril 2024 confirme virilement que la SCI francaise ne peut tomber dans le champ de la taxe Caïman.
Les auteurs de l’article publié ce 5 juillet dans Taxwin considèrent, eux aussi, que la SCI n’est pas une construction juridique. Ceci est manifestement une bonne nouvelle pour celles et ceux qui n’ont pas encore introduit leur déclaration fiscale et n'ont pas funestement déclaré qu’ils avaient une construction juridique par leur SCI, attention celle visée à l’article 8.1 CGI.
Leur analyse s’effectue dans un cadre où ils rappellent que lors des travaux parlementaires « …le ministre affirme, sans justification, que la SCI constitue dorénavant une construction juridique « En raison de la présence de la personnalité juridique, cette société est en principe considérée comme une personne imposable distincte du point de vue belge. Par conséquent, cette forme juridique entre dans le champ d’application de la taxe Caïman lorsque les actionnaires sont des habitants du Royaume » (Note 1 infra).
Or, nous savons que le législateur a commis un lapsus évident et qu’il ne visait pas les SCI de l’article 8.1 CGI dites translucides fiscalement ou semi-transparentes. Nous prouvons infra que le législateur a uniquement visé des SCI transparentes qui, elles, ne sont pas celles détenues majoritairement par les résidents belges !
Cet article laisse un fort sentiment d’inachevé parce qu’il exclut la SCI française, sans préciser de laquelle il s’agit, de la taxe dite Caïman pour une mauvaise raison. En effet, selon ses auteurs la SCI est exclue car le test dit des 1% est rencontré ou ne peut l’être. L’analyse est intéressante mais superfétatoire. La SCI répond selon eux à la condition de taxation minimale ou ce test ne peut pas s’appliquer, donc ce n’est pas une construction juridique. C’est bien ce qu’ils écrivent « Contrairement à ce qu’affirme le ministre, la SCI n’est une construction juridique que si elle ne répond pas à la condition dite de taxation minimale : si les revenus de la SCI sont soumis, dans le chef de l’associé résident fiscal belge, à un impôt sur les revenus français (ce qui est le cas) et si cet impôt s'élève à au moins 1% de la part incombant à cet associé sur le revenu imposable de la SCI déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants, la SCI n’est pas une construction juridique (Article 2, § 1er, 13°, b), alinéa 2 du CIR) ».
I. Nous allons montrer qu’en soutenant que la SCI française (de l’article 8.1 CGI) n’est pas une construction juridique parce qu’elle satisfait au seul test des 1% les auteurs de l’article estiment qu’elle serait une société dont « les revenus sont imposés dans le chef des associés ». Cette considération n'est pas correcte pour des SCI translucides ou semi-transparentes.
Les SCI ne sont pas visées par le texte de l’article 2, §1er. 13°, b) CIR 1992parce que ce ne sont pas des sociétés dont les revenus sont imposés dans le chef des associés.
Lisons le texte
<< Art. 2, § 1er. 13°, b) Par construction juridique, on entend:
(al 1°) toute société, ....qui possède la personnalité juridique ... qui, en vertu des dispositions de la législation de l'Etat ... soit n'y est pas soumis à un impôt sur les revenus, soit y est soumis à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 15 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants.
(al 2°) Les sociétés,.... visés à l'alinéa 1er ne constituent pas des constructions juridiques s'ils sont établis dans un Etat ou une juridiction qui fait partie de l'Espace économique européen,
sauf lorsqu'elle concerne:
2° une société ...
dont les revenus sont imposés dans le chef des associés ...par l'Etat ....
sauf si
et
Il en ressort que si, comme l'affirment les auteurs de l'article cité supra, les SCI ne sont pas des constructions juridiques parce qu’elles satisfont au seul test des 1% c’est bien que, pour eux, ce sont des sociétés dont les revenus sont imposés dans le chef des associés. Ceci est une erreur car ce n’est pas le cas des SCI de l’article 8.1 CGI, donc des sociétés translucides (semi-transparentes) qui ne sont pas visées par le CIR 1992 ... sans aucun test à effectuer.
Les revenus d'une SCI translucide ne sont pas imposés dans le chef des associés. Elle a une personnalité juridique et fiscale distincte de ses associés, elle est le seul sujet d'imposition des revenus qu'elle perçoit. Le paiement fractionné de l’impôt, établi au nom de la SCI, par chacun de ses associés ne constitue qu’une modalité de perception. Cette singularité ne peut être assimilée à une substitution du sujet fiscal :
II. Ayant démontré que les SCI translucides fiscalement ne pouvaient tomber dans le champ de l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 2° du CIR, tomberions-nous alors, comme me l'a souligné Madame Valérie-Anne de Brauwere, autrice de l'article susnommé, dans l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° CIR 1992 ? Charybde étant évitée passerions nous en Scylla ?
Selon cet alinéa 2,3° est une construction juridique (avec application de la taxe Caïman sous réserve de la convention) "3° une société, ... qui possède la personnalité juridique, qui n'est pas visée au 1° ou 2° ... et qui, en vertu des dispositions de la législation de l’État ... dans laquelle elle est établie, soit, n'y est pas soumise à un impôt sur les revenus, soit, y est soumise à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 1 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants" (je mets en caractères gras).
La réponse à la suggestion est négative, cet article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° du CIR étant tout aussi inapplicable aux SCI fiscalement translucides que le 2, 13°, b), alinéa 2, 2° dés lors qu'il vise une SCI qui serait "soumise à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 1 p.c. du revenu imposable de cette construction juridique ...". (je mets en caractères gras).
Or, le régime de la translucidité fait que l'impôt est calculé en fonction des spécificités de chaque associé, il n'y a pas d'impôt payé tel quel au niveau de la SCI . Le résultat de la SCI est déterminé et calculé au niveau de la société mais il est "imposé" entre les mains des associés, chacun pour la part lui revenant dans la catégorie des revenus fonciers. Il ne peut être considéré qu'il y a soumission telle quelle à un impôt dans son chef.
Rappelons ce qu'en dit Monsieur Bruno Gouthière: "Une société de personnes est un <<sujet fiscal>> même si l'imposition n'est pas établie en son nom mais à celui des associés. N'étant pas fiscalement transparentes, les sociétés de personnes françaises doivent être considérées comme des personnes morales aux fins d'imposition, assujetties à l'impôt puisqu'il s'agit de sujets fiscaux quoiqu'il ne s'agisse pas de contribuables" (je mets en caractères gras)- (Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 641, n° 31558). Compte tenu des particularités des SCI fiscalement translucides cet article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° CIR 1992 est juste inapplicable.
La lecture de l'arrêt de la Cour de Cassation belge du 29 septembre 2016 circonscrit la spécificité de la SCI fiscalement translucide qui rend inapplicable l’article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° du CIR en ce qu'il vise une société "soumise à un impôt sur les revenus qui s'élève à moins de 1 p.c. ..." dès lors que"l’impôt est appliqué non pas à la société de personnes elle-même mais aux associés" ou que "l’impôt ne soit pas effectivement payé par la société mais par chacun des associe" :
"La circonstance que la loi française prévoit que les bénéfices sociaux nets sont imputés aux associes aux fins de la perception de l’impôt n'emporte cependant pas une fiction selon laquelle les opérations génératrices des produits et des charges sociales seraient fiscalement réalisées par les associes ou, en d'autres termes, une fiction selon laquelle les associes obtiendraient directement les bénéfices de la société dans laquelle ils ont un intérêt. .... En effet, les bénéfices qu'une société civile immobilière de droit commun tire de la location de ses immeubles sont d'abord des revenus sociaux et non des revenus des porteurs de parts, ces bénéfices restant, d'un point de vue fiscal, la propriété de cette dernière tant qu'ils ne sont pas distribues....Le fait que l’impôt ne soit pas effectivement payé par la société mais par chacun des associes n'est qu'une modalité particulière du recouvrement de cet impôt frappant les bénéfices sociaux qui ne remet pas en cause l'existence d'une personnalité fiscale propre dans le chef de la société civile immobilière de droit commun....L'existence d'une personnalité fiscale propre des sociétés de personnes de droit français et, partant, des sociétés civiles immobilières de droit commun a ainsi rendu nécessaire les observations suivantes de la France au rapport du 20 janvier 1999 du comite des affaires fiscales de l'O.C.D.E. sur l'application du modèle de convention fiscale de l'O.C.D.E. aux sociétés de personnes : - « 2. En vertu du droit fiscal français, une société de personnes sera toujours considérée comme assujettie à l’impôt même si en fait l’impôt est appliqué non pas à la société de personnes elle-même mais aux associés (au nom de la société de personnes en fonction de la part correspondant à leur participation dans cette dernière); ... « 7. Il ne suffit pas de constater que le montant de l’impôt dû sur le revenu de la société est établi en fonction des caractéristiques personnelles de ses associes pour conclure que la société doit être regardée comme n’étant pas elle-même assujettie à l’impôt' ;"
Subsidiairement notons que l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° du CIR vise explicitement un impôt dû en raison de la « législation » d’un pays (« en vertu des dispositions de la législation de l’État ...dans laquelle elle est établie »). Selon le dictionnaire de l’académie française « législation » couvre « Le corps même des lois.... », selon le Larousse "2. Ensemble des lois d'un pays, des dispositions législatives intéressant un domaine donné". Le texte du CIR aurait pu mentionner "un impôt dû" sans préciser "en vertu de la législation", auquel cas mon raisonnement. Or, selon la législation française, il faut déclarer un « avantage » dans le chef de la SCI en cas de mise à disposition à titre gratuit de l’immeuble par la SCI à l’associé. Ce n’est que depuis 1976 que le Conseil d’État a modifié sa jurisprudence « assimilant cette situation à un cas où le propriétaire met gratuitement le logement à disposition d’un tiers » (je mets en caractères gras) - (« Transparence et translucidité des sociétés en droit fiscal international » - Camille Ortiz – LGDJ 2024 – Point 96, pages 75 & 76). La non-taxation actuelle en France résulte d’une décision jurisprudentielle tirée d’une interprétation manifestement contra legem. Selon la législation française la SCI est bien soumise à un impôt sur les revenus qui pourrait rencontrer le test de 1% si .... l'impôt été calculé au niveau de la SCI. Comme expliqué supra, ce n'est pas le cas.
Le texte du CIR 1992 ne peut donc couvrir le cas des SCI translucides. Ni l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 2°, ni l'article 2, 13°, b), alinéa 2, 3° ne peuvent leur être appliqués.
III. Prouvons maintenant que cette conclusion est dans la ligne de ce que le Ministre et le délégué ont dit lors des travaux parlementaires. Notons que leur commentaire fut effectué à l'occasion d'éclaircissements sur le champ nouveau de l'article 21, alinéa 1er, 12° CIR 1992 cherchant à éviter que l’application de la taxe Caïman soit dans certains cas plus avantageuse que sa non-application et non à propos de son champ d'application. Il est néanmoins intéressant car il précise la pensée du législateur sur cette question.
Selon le législateur la SCI française est « une société civile immobilière fiscalement translucide, dotée de la personnalité juridique. Dans une construction SCI, la société est propriétaire du bien immobilier et les associés détiennent des parts sociales ». Il est correct d’affirmer que dans le cas de sociétés translucides la SCI est propriétaire du bien immobilier et que les associés détiennent des parts sociales mais .... toutes les SCI françaises ne sont pas fiscalement translucides. Dire, seul, que "la SCI française est « une société civile immobilière fiscalement translucide" est (déjà) une erreur.
Le législateur poursuit « En principe, la SCI est fiscalement transparente en France. Cela signifie que les associés sont imposés en France comme s’ils étaient directement propriétaires du bien. En raison de la présence de la personnalité juridique, cette société est en principe considérée comme une personne imposable distincte du point de vue belge » (je mets en caractères gras). Ceci n’est vrai que pour les SCI dites fiscalement transparentes dont les membres sont considérés, sur le plan fiscal comme personnellement propriétaires des locaux à la jouissance desquels leurs parts sociales leur donnent vocation. Ici gît toute la confusion et on peut la comprendre vu le nombre de commentateurs qui parlent de translucidité pour couvrir une transparence fiscale. Sauf qu’une SCI fiscalement translucide, on l’appelle aussi semi-transparente, n’est pas une SCI fiscalement transparente, ce sont des concepts totalement différents.
Le législateur conclut : « Par conséquent, cette forme juridique entre dans le champ d’application de la taxe Caïman lorsque les actionnaires sont des habitants du Royaume ».
De la construction du texte résulte que le législateur vise (a) les SCI ayant une personnalité juridique, (b) fiscalement transparentes, (c) dont les associés sont imposés comme s’ils étaient directement propriétaires du bien. Cette définition n’est pas celle d’une SCI translucide. Les sociétés dites translucides ou semi-transparentes ne sont pas visées par la définition des SCI couvertes par la taxe Caïman.
Certes le législateur mentionne les SCI fiscalement translucides en début d'exposé mais il poursuit en les définissant comme étant des SCI fiscalement transparentes en y ajoutant une caractéristique propre à ces dernières. Ceci est manifestement une erreur que le conseil essayant de comprendre la volonté du législateur doit dépasser. Pour les sceptiques, s'il en reste à ce stade, voici ce que le législateur aurait fait dans un autre contexte: << ce texte vise les citoyens blancs qui sont d'ancêtres africains et ont la peau noire>>. Allez-vous, ici aussi, considérer que le texte vise les citoyens blancs ?
En conclusion continuer à ne pas dire clairement que les SCI translucides (semi-transparentes) de l'article 8.1 CGI qui concernent la majorité des SCI détenues par des résidents belges ne sont pas visées par le Code des impôts sur les revenus n'a qu'un seul mérite: faire payer des honoraires fiscaux inutiles.
Notes
1. Projet de loi-programme, Exposé des motifs, Chambre des Représentants, 23 novembre 2023, Doc. parl. 55 3697/001, p. 31. - Projet de loi-programme, Avis du Conseil d’Etat, Chambre des Représentants, 23 novembre 2023, Doc. parl. 55 3697/001, pp. 314-315