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Nouvel arrêt de la Cour constitutionnelle: que reste-t-il de la Taxe Caïman 2.1 ?

Ce jeudi 18 septembre 2025, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt[1] annulant partiellement la réforme de la taxe Caïman qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2024[2]. Cette réforme a déjà fait couler beaucoup d’encre. La saga continue avec cet arrêt 117/2025 de la Cour constitutionnelle qui met à mal certains principes phares de la taxe Caïman 2.1. Nous analysons ici brièvement l’impact de cet arrêt en annulation qui a par ailleurs un effet rétroactif.

Pour rappel, la taxe Caïman 2.1 se caractérisait notamment par l’entrée en vigueur de certaines mesures - discutables - telles que[3]:

  • L’instauration d’une présomption réfragable de la qualité de fondateur pour une personne inscrite dans un registre UBO ;
  • Une délimitation de l’exclusion dite « de substance » ;
  • Le remplacement de la notion de « construction mère » par la notion de « construction en chaîne » ;
  • La qualification de construction juridique des fonds dédiés détenus à plus de 50% par une seule personne ou plusieurs personnes liées entre-elles ;
  • L’instauration d’une exit tax en cas d’émigration d’un fondateur en dehors de la Belgique ;
  • La taxation de la distribution des plus-values par une construction juridique en supprimant l’application du principe « exemption vaut impôt » ;
  • L’extension des obligations déclaratives et l’instauration d’une annexe 276 CJC.

Ce sont précisément ces mesures qui ont fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Nous allons ci-après parcourir les mesures qui ont effectivement fait l’objet d’une annulation par la Cour.​

1. L’exclusion de substance remise au goût du jour

Depuis le 1er janvier 2024, cette exclusion est applicable lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • la construction juridique est établie dans un État avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition, ou pratique avec cet Etat l’échange de renseignements en matière fiscale et que ;
  • il soit démontré que la construction juridique exerce une activité économique substantielle, au moyen de personnel, d'équipements, de biens et de locaux, et que ses revenus sont principalement réalisés par celle-ci, et que;
  • cette activité substantielle n'a pas pour but la gestion du patrimoine privé du fondateur ou d'un des fondateurs de cette construction juridique.

En outre, dans la version 2.1 de la taxe Caïman, il est précisé que l'exercice d'une activité économique s’entend par l'offre de biens ou services à un marché déterminé.

La Cour constitutionnelle estime que la restriction de la notion d’activité économique à l’offre de biens ou de services, par la construction juridique concernée, sur un marché déterminé n’est pas admissible. Elle considère que la seule gestion d’actifs, par la construction juridique, ou le fait que les revenus de cette construction juridique ne proviennent que de la gestion de ces actifs ne suffisent pas, en soi, à établir l’existence d’un montage purement artificiel, dépourvu de toute réalité économique (B.12.3).

Le contribuable doit donc avoir l’opportunité de démontrer à l’administration fiscale, sous le contrôle du juge compétent, que la construction juridique concernée ne relève pas d’un montage purement artificiel, dépourvu de toute réalité économique.

Concernant la gestion du patrimoine privé du fondateur, la Cour précise toutefois qu’il s’agit d’une activité qui relève d’un simple exercice du droit de propriété et non d’une activité économique.

La Cour annule en conséquence l’article 5/1, §3, alinéa 2 du CIR92.

2. Limitation de l’exit tax à la période belge et clarification

Une ‘exit tax’ a été insérée dans la version 2.1 de la taxe Caïman, à l’article 18, alinéa 1, 3°/1 du CIR92 dans les situations suivantes :

  1. le transfert du domicile fiscal du fondateur à l'étranger ;
  2. le transfert du siège d'une construction juridique vers un Etat autre que la Belgique ;
  3. l’apport des droits économiques, actions ou parts ou des actifs de la construction juridique dans une autre construction juridique ou personne morale ou le transfert vers un autre État ou juridiction que la Belgique.

Le champ d'application de cette exit tax n'était pas limité à la « période belge » et s’applique sur les « bénéfices non distribués ».

Lors des échanges parlementaires, le Ministre a précisé que ce nouvel article 18 alinéa 1, 3°/1 du CIR92 qualifie de dividende « Toute réserve que le patrimoine de la construction juridique a fait fructifier

au-delà du patrimoine apporté par le fondateur » et viserait dès lors non seulement les profits réalisés mais également toute plus-value latente, point contestable au regard du texte du dispositif.

La Cour constitutionnelle apporte ici des éclaircissements plus que bienvenus.

D’une part, elle considère que la notion de « bénéfices non distribués » est sans équivoque et vise les réserves de la construction juridique qui excèdent le montant des capitaux apportés par le fondateur. Elle précise ensuite que les notions de « bénéfice » et de « réserve » supposent des revenus qui ont été recueillis par la construction juridique, le cas échéant à la suite de la réalisation d’actifs, et qui n’ont pas été distribués, la notion de « bénéfices non distribués » ne vise pas les plus-values latentes sur les actifs (B.21).

D’autre part, la Cour reconnaît la limitation du pouvoir d’imposition de la Belgique à la « période belge ». Il en résulte que la Cour annule l’article 18, alinéa 1er, 3°/1, du CIR92, mais uniquement dans la mesure où il a pour effet de rendre imposables des bénéfices non distribués d’une construction juridique qui ont été réalisés par celle-ci alors que la personne physique ou morale fondatrice de cette construction juridique n’avait pas encore, selon le cas, sa résidence ou le siège de sa fortune, ou son établissement ou son siège de gestion ou d’administration en Belgique (B.40).


3. CFC et taxe Caïman : le combo gagnant

Il est possible qu’une personne physique détienne indirectement une construction juridique via une société régulièrement imposée. En application des règles CFC (« controled foreign corporations »), les revenus de ladite construction juridique peuvent potentiellement être imputés à la société régulièrement imposée. De facto, ces revenus sont donc taxés.

Depuis l’entrée en vigueur de la taxe Caïman 2.1 qui introduit la notion de construction intermédiaire, l’application des règles CFC a toute son importance. L’article 5/1, §3, alinéa 1er, c) du CIR92 prévoit d’ailleurs une exemption lorsque, par le biais des règles CFC, les revenus de la construction juridique sont imputés à une société belge et donc régulièrement imposés.

La Cour constitutionnelle estime que la limitation de l’exonération aux situations dans lesquelles les revenus sont imposés dans le chef d’une société résidente belge uniquement n’est pas raisonnablement justifiée et devrait également s’appliquer lorsque les revenus sont imposés dans le chef d’une société non-résidente en application de règles CFC analogues à celles prévues en droit belge. L’article 5/1, §3, alinéa 1er, c) du CIR92 est donc annulé en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité pour le fondateur de démontrer que les revenus de la construction juridique sont imposés dans le chef d’une société non résidente en application de règles CFC analogues à celles prévues à l’article 185/2 du CIR92 et d’être exempté en conséquence (B.68).

4. Plus de souplesse pour les fonds dédies

Les fonds dédiés ont été particulièrement touchés par la réforme de la taxe Caïman 2.1. En effet, ils bénéficiaient initialement d’une exemption lorsqu’ils n’étaient pas entièrement détenus par une seule personne ou plusieurs personnes liées entre elles. Cette exemption s’est vue fortement limitée à partir du 1er janvier 2024 car depuis cette date, elle n’est applicable que dans la mesure ou le fonds n’est pas détenu à plus de 50% pour une personne ou plusieurs personnes liées entre elles.

Pour rappel, des personnes sont liées à d'autres personnes lorsque :

  • une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, exercent le contrôle sur une autre personne morale, telle que visée à l'article 1:14 du Code des sociétés et des associations , ou;
  • ces personnes sont parents ou alliés jusqu'au quatrième degré, ou;
  • ces personnes sont mariées entre elles, cohabitent légalement, ou ont établi leur domicile ou leur siège de la fortune à la même adresse.

La Cour constitutionnelle juge que le critère de 50% de détention est disproportionné. Le contribuable doit avoir l’opportunité de démontrer que la participation de tiers dans un OPC à concurrence de moins de 50 % ne repose pas sur un motif purement fiscal, et que l’OPC concerné n’est dès lors pas une construction juridique ni une construction intermédiaire. L’article 2, §1er, 13/1, alinéa 2 du CIR92 est par conséquent annulé en ce qu’il ne permet pas au contribuable concerné d’apporter la preuve que la participation de tiers à concurrence de moins de 50 % dans un organisme de placement collectif ne repose pas sur un motif purement fiscal, et que l’organisme de placement collectif concerné n’est dès lors pas une construction juridique ni une construction intermédiaire (B.96).


CONCLUSION

L’arrêt de la Cour constitutionnelle marque un tournant dans l’évolution de la taxe Caïman et ouvre de nouvelles perspectives.

Par ailleurs, il convient de souligner que l’annulation des dispositions visées a un effet rétroactif. Nous ne pouvons évidemment pas prévoir quand ni comment le législateur réagira à cet arrêt.

Il va de soi que nous suivons cela de près pour vous et que nous vous tiendrons informés dès qu'il y aura du nouveau à ce sujet. Dans l’intervalle, nous vous conseillons vivement de faire examiner votre situation au regard de ce nouvel arrêt de la Cour constitutionnelle. Notre équipe de spécialiste est à votre disposition pour vous assister.


[1] Arrêt de la Cour constitutionnelle n°117/2025 du 18 septembre 2025.

[2] Loi programme du 22 décembre 2023, M.B., 29 décembre 2023

[3] Voir notre newsletter ce concernant : Tiberghien - Taxe Caïman 2.1, Top ou flop ? Un premier update au regard du Projet de loi finalement soumis au Parlement

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