L’obligation de déclarer certains dispositifs transfrontières agressifs est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Les premières déclarations devaient être effectuées pour le 28 février 2021. L’administration belge a décidé d’appliquer une tolérance pour les dispositifs à déclarer pendant les mois de janvier et février 2021, en accordant un report jusqu’au 28 février 2021 inclus (les sanctions prévues pour soumission tardive n’étant pas appliquées pendant cette période)[1].
Cette nouvelle obligation déclarative découle de la directive européenne DAC 6, transposée en Belgique par la loi du 20 décembre 2019. Cette obligation de déclaration est sans aucun doute l’une des évolutions les plus significatives de ces dernières années sur la scène fiscale internationale.
Bien que l’exposé des motifs ait apporté quelques éclaircissements (voy. Act. Fisc. 2019, 40/3), de nombreuses incertitudes subsistaient, causant aux conseillers fiscaux et autres “intermédiaires” de nombreuses difficultés (pour ne pas dire : maux de tête). Dans ce contexte, on peut saluer le commentaire détaillé (58 pages !) publié par le SPF Finances (FAQ du 15 juin 2020). La FAQ (acronyme issu de l’expression française « Foire Aux Questions », voire de l’expression anglaise « Frequently Asked Questions ») fournit des précisions sur la définition des “intermédiaires” (qui doit faire une déclaration ?) et sur les modalités de déclaration (quand une déclaration doit-elle être faite ? Quelles données doivent-elles être déclarées ? À qui la déclaration doit-elle être adressée ?…).
La valeur ajoutée de la FAQ réside principalement dans la description des dispositifs soumis à l’obligation de déclaration. Dans cette contribution, nous nous concentrerons donc en particulier sur le critère de l’avantage principal (« main benefit test – MBT ») et sur les “marqueurs” les plus couramment rencontrés des dispositifs « (potentiellement) agressifs ».
[1] Avis du 28 janvier 2021 publié sur le site du SPF Finances.
Les intermédiaires ne sont pas obligés de signaler toutes leurs combines ou astuces fiscales aux autorités fiscales. Seuls les “dispositifs transfrontières (potentiellement) agressifs” doivent être déclarés.
> Qu’est-ce qu’un dispositif ?
Le terme “dispositif” n’est pas défini dans la loi ou la directive. À notre avis, il s’agit d’une condition indépendante de la question de savoir si un dispositif (transfrontière) est “agressif” ou non. C’est pourquoi le respect de cette condition ne doit pas être omis : avant d’examiner si l’un des marqueurs (censés révéler l’existence d’un dispositif “agressif”) est rencontré, il faut d’abord examiner si l’on est en présence d’un “dispositif” (et puis si ce dispositif est bien « transfrontière » – cf. infra 1.b.).
La FAQ définit la notion de manière très large : un dispositif comprend “tout arrangement, accord, acte, contrat, convention, plan, montage, projet, structure, processus de création, transaction… ou d’une combinaison de ces éléments, qu’il soit exprès ou implicite, écrit ou verbal, en vue d’atteindre un objectif particulier ou de mettre en œuvre une idée particulière” (FAQ 3.1). L’administration fiscale donne ensuite quelques exemples tels que la restructuration d’une entreprise, le transfert du siège social d’une société, la conclusion d’un contrat, la conclusion d’un contrat d’assurance vie, etc.
La FAQ mentionne également une série d’éléments qui ne sont pas considérés comme un dispositif : la simple passivité du contribuable, la simple application d’un régime fiscal national (par exemple, l’application de la déduction pour revenus d’innovation ou le régime des revenus définitivement taxés), la simple exécution d’une transaction (par exemple, une transaction bancaire), la conclusion d’un prêt si telle est l’activité habituelle de l’intermédiaire, etc. Toutefois, la situation est différente si un tel élément fait partie d’un ensemble plus vaste d’étapes ou de parties pouvant, en étant prises dans leur ensemble, être considérées comme constitutives d’un dispositif (FAQ 3.1).
Exemple : une riche famille belge détient des parts dans une société holding luxembourgeoise (la célèbre Société de participations financières ou SOPARFI). La SOPARFI détient un portefeuille d’actions de sociétés cotées en bourse qui sont éligibles au privilège mère-filiale (exonération intégrale des revenus de participations) au Luxembourg[1]. À mon avis, l’application du privilège mère-filiale ne peut être qualifiée en soi de “dispositif”. Il pourrait par contre y avoir un ” dispositif” si les membres de la famille prennent des mesures spécifiques afin de bénéficier de l’exonération (comme, par exemple, la constitution d’une SOPARFI suivie du transfert d’actions à cette SOPARFI).
[1] Art. 166 LIR (loi luxembourgeoise concernant l’impôt sur le revenu). L’exemption s’applique notamment si la SOPARFI détient des actions d’une valeur d’acquisition supérieure à 1,2 million d’euros.
La FAQ mentionne également une série d’éléments qui ne sont pas considérés comme un dispositif : la simple passivité du contribuable, la simple application d’un régime fiscal national (par exemple, l’application de la déduction pour revenus d’innovation ou le régime des revenus définitivement taxés), la simple exécution d’une transaction (par exemple, une transaction bancaire), la conclusion d’un prêt si telle est l’activité habituelle de l’intermédiaire, etc. Toutefois, la situation est différente si un tel élément fait partie d’un ensemble plus vaste d’étapes ou de parties pouvant, en étant prises dans leur ensemble, être considérées comme constitutives d’un dispositif (FAQ 3.1).
Exemple : une riche famille belge détient des parts dans une société holding luxembourgeoise (la célèbre Société de participations financières ou SOPARFI). La SOPARFI détient un portefeuille d’actions de sociétés cotées en bourse qui sont éligibles au privilège mère-filiale (exonération intégrale des revenus de participations) au Luxembourg[1]. À mon avis, l’application du privilège mère-filiale ne peut être qualifiée en soi de “dispositif”. Il pourrait par contre y avoir un ” dispositif” si les membres de la famille prennent des mesures spécifiques afin de bénéficier de l’exonération (comme, par exemple, la constitution d’une SOPARFI suivie du transfert d’actions à cette SOPARFI).
> Qu’est-ce qu’un dispositif transfrontière ?
Il s’agit d’un arrangement qui implique plus d’un État membre ou un État membre et un pays tiers. En outre, les “participants” doivent être domiciliés dans différents pays ou exercer leur activité dans un autre pays.
La FAQ cite quelques exemples de dispositifs qui ne sont pas considérés comme “transfrontières”, tels que la simple présence d’un actionnaire étranger dans le dispositif belge (FAQ 3.2.1). En pratique, des questions se posent souvent à propos de la situation inverse : le simple achat par un résident belge de titres d’une société étrangère (par exemple, des actions d’un fonds d’investissement) constitue-t-il un dispositif “transfrontière” ?
Exemple : Des personnes physiques belges acquièrent des parts de capitalisation dans un organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) étranger, par exemple une SICAV luxembourgeoise. La SICAV investit ses actifs dans des actions, de sorte que la taxe Reynders n’est pas applicable (article 19bis CIR). Les investisseurs réalisent une plus-value exonérée lors du rachat de leurs actions (art. 21, 2°, CIR 92). A mon avis, il n’est pas question d’un dispositif “transfrontière”, dans la mesure où le lieu de résidence des investisseurs belges n’est pas en soi déterminant pour la création de la SICAV[2]. Cette position semble assez évidente si la SICAV existait déjà avant que les investisseurs belges n’entrent sur le marché. A l’inverse, si un fonds d’investissement (alternatif) étranger est spécifiquement mis en place par des résidents belges pour des raisons fiscales, il pourrait à mon avis y avoir un “dispositif transfrontière”.
Qui peut être considéré comme un “participant” au dispositif ? Selon la FAQ, le contribuable concerné est toujours considéré comme un “participant”. La question de savoir si un intermédiaire peut être considéré comme un participant est beaucoup plus délicate. La FAQ précise qu’un intermédiaire peut être considéré comme un participant s’il a joué un rôle actif dans le dispositif qu’il a lui-même imaginé ou mis en place (par exemple, s’il est dirigeant d’une entité) (FAQ 3.2.2.).
La FAQ précise ensuite qu’un établissement financier qui, dans le cadre de ses activités ordinaires, se limite à fournir un produit d’assurance de la branche 21 ou 23 n’est pas un intermédiaire “participant”[3]. Selon moi, cette interprétation est corroborée par l’exposé des motifs : “Inversement, le simple fait d’accorder un crédit dans le cadre des activités professionnelles ne fait pas du fournisseur de crédit un participant” (exposé des motifs, p. 8). Cette interprétation minimaliste de la notion de participant n’est pas suivie par les autres États membres. Par exemple, le commentaire administratif français sur DAC6 souligne que la souscription d’un contrat d’assurance vie étranger par un résident français pourrait, dans certaines circonstances, être considérée comme un dispositif transfrontière agressif[4].
> Qu’est-ce qu’un dispositif agressif ?
Seules les dispositifs transfrontières qui rencontrent au moins un “marqueur” doivent être déclarés. Un marqueur est censé révéler l’existence d’un risque d’évasion fiscale. La loi se réfère à la définition des marqueurs donnée dans l’Annexe 4 de la directive DAC 6.
Les marqueurs peuvent être subdivisés en cinq catégories. La catégorie A comprend les marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal. La catégorie B comprend les marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal. La catégorie C concerne les marqueurs spécifiques relatifs aux opérations transfrontalières. La catégorie D contient les marqueurs spécifiques relatifs à l’échange automatique d’informations et aux bénéficiaires effectifs. Enfin, la catégorie E contient des marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert.
La FAQ offre d’amples explications sur ces marqueurs ainsi que sur le main benefit test (MBT).
> i.Le main benefit test (MBT)
Pour certains marqueurs, le main benefit test (MBT) doit être satisfait pour que le dispositif transfrontière rencontrant le marqueur en question soit bien déclarable. Ce critère est rempli s’”il peut être établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer du dispositif, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, est l’obtention d’un avantage fiscal“.
Selon la FAQ, un avantage fiscal peut exister dans l’une des situations suivantes : un montant n’est pas inclus dans la base d’imposition ; le contribuable bénéficie d’une déduction ; une perte a été subie à des fins fiscales ; aucune retenue à la source n’est due ; un report d’imposition, etc. (FAQ 5.2).
Il ne suffit pas d’établir que le dispositif transfrontière confère un avantage fiscal pour satisfaire au main benefit test. Cet avantage fiscal doit, en outre, être le principal ou l’un des principaux avantages du dispositif. Selon la FAQ, l’avantage fiscal spécifique du dispositif est considéré comme “essentiel” si tout autre avantage qui est ou pourrait être attribué à une partie ou à l’ensemble du dispositif apparaît négligeable à la lumière de toutes les autres circonstances. Ainsi, si le principal avantage du dispositif est de nature économique ou commerciale et que les conséquences fiscales ne sont qu’accessoires, le main benefit test n’est pas rempli (FAQ 5.2). À mon avis, la référence aux avantages économiques ou commerciaux n’exclut pas que des avantages de nature patrimoniale, familiale ou autre(s) puissent également être pris en compte (et donc entraîner en conséquence la non-satisfaction du MBT).
Exemple : Un particulier belge place des actifs (actions…) dans un trust ou une fondation étrangère, pour diverses raisons (protection du patrimoine, planification successorale, discrétion…). De telles structures sont susceptibles de rencontrer certains marqueurs (notamment A.3 et B.2, voir ci-dessous). Néanmoins, si l’avantage fiscal (par exemple en matière de droits de succession) est secondaire par rapport à d’autres avantages (de nature financière/patrimoniale), le MBT ne sera pas rencontré.
En outre, le fisc souligne que l’avantage fiscal ne doit pas nécessairement être obtenu dans un pays de l’UE, mais pourrait très bien l’être dans un pays tiers (FAQ 5.3).
L’évaluation du MBT doit être faite de manière objective, en tenant compte des faits et des circonstances de la cause. Selon la FAQ, les intentions subjectives des participants ne jouent ici aucun rôle. Ce qui compte, c’est qu’il y ait une attente raisonnable d’obtenir un tel avantage fiscal du dispositif (FAQ 5.4). Même un avantage fiscal hypothétique pourrait donc suffire (FAQ 5.8).
L’on remarquera à cet égard que tant la disposition générale anti-abus de l’article 6 de la directive ATAD[5] (à la lumière de laquelle l’article 344, § 1er, CIR 92, doit être interprété en matière d’impôt des sociétés)[6] que le principal purpose test (PPT) introduit dans les conventions de préventives de la double imposition par l’intermédiaire de l’Instrument Multilatéral (MLI)[7] se concentrent sur le but (l’intention, la finalité …) de la construction.
En revanche, comme indiqué ci-dessus, le MBT se réfère quant à lui plutôt au résultat attendu (qui transparait objectivement du dispositif). On peut néanmoins supposer que le résultat escompté sera conforme à l’objectif poursuivi (l’intention des parties)[8]. L’analyse de la disposition générale anti-abus d’ATAD et du PPT repris dans les traités pourrait donc éclairer l’interprétation du MBT de DAC 6. Dans la pratique, les autorités fiscales belges n’hésiteront pas, à mon avis, à invoquer les dispositions anti-abus (par exemple : l’article 344, § 1er, CIR, l’article 203, § 1er, 7°, juncto article 203, § 2, alinéa 8, CIR, (dividendes inbound – déduction des RDT) et l’article 266, alinéa 4, CIR 92 (dividendes outbound – exemption de précompte mobilier[9],…) lorsque des dispositifs transfrontières agressifs sont déclarés dans le cadre de la DAC 6 (et rencontrent ainsi le MBT).
Dans un souci d’exhaustivité, il convient de souligner que la satisfaction du MBT ne signifie pas automatiquement qu’il y aurait “abus” (au sens des dispositions anti-abus susmentionnées, en droit fiscal belge, européen ou international). Si l’intermédiaire (ou le contribuable concerné) suppose que le MBT est rencontré (en déclarant le dispositif transfrontalière), les autorités fiscales pourraient, à mon avis, être tentées de considérer qu’il est bien question d’« abus ». Dans cette hypothèse, cependant, le contribuable peut désactiver la disposition anti-abus en question, en faisant notamment valoir que l’avantage fiscal n’était pas l’objectif premier de l’opération (contre-preuve).
Il est frappant de constater que, selon la FAQ, le MBT pourrait également être rempli si l’avantage fiscal découle simplement de “l’application de la loi fiscale (étrangère)” (FAQ 5.6). C’est à mon avis fort regrettable. Les autorités fiscales belges, comme celles de nombreux autres pays (France[10], Allemagne[11], Royaume-Uni[12], Luxembourg[13], etc. ….), auraient pu considérer que le MBT n’est pas atteint (et donc qu’aucune déclaration n’est requise) si l’avantage fiscal est conforme à l’objectif de la loi applicable et à l’intention du législateur[14].
> ii.Analyse de certains marqueurs
Les développements qui suivent sont consacrés à l’examen des marqueurs les plus fréquemment rencontrés dans la pratique quotidienne.
- Utilisation d’une documentation ou d’une structure standardisée (marqueur A.3)
Le marqueur A.3 fait référence à “un dispositif utilisant des documents et/ou une structure standardisés et accessible à plus d’un contribuable concerné sans qu’il soit nécessaire de procéder à une adaptation substantielle pour la mise en œuvre“. La FAQ précise qu’il s’agit de “mass-marketed schemes” auxquels un nombre important de contribuables peuvent avoir accès sans qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse détaillée de leur situation propre et sans que la structure soit modifiée de manière substantielle. En principe, le contribuable devrait pouvoir mettre en place le dispositif sans l’aide de ses conseillers. Il est donc logique que le marqueur A.3 ne soit pas applicable lorsque le contribuable a d’abord besoin d’un conseil « sur-mesure » fondé sur une analyse tenant compte des spécificités de sa situation (FAQ 4.1.5).
La FAQ n’explique pas quels dispositifs spécifiques sont couverts. Cela signifie que les intermédiaires (et les contribuables) se heurtent pour l’instant à de nombreuses incertitudes. Les intermédiaires devront se fonder sur leur propre interprétation du marqueur A.3, ce qui leur donnera sans aucun doute de nombreux maux de tête.
Le marqueur A.3 pourrait, à mon avis, couvrir les techniques de planification fiscale couramment utilisées, telles que la création d’un trust ou d’une fondation (par exemple une Stichting Administratiekantoor néerlandaise)[15], la création d’une société (financière) dans une juridiction fiscalement avantageuse[16], une donation[17], l’utilisation de certains instruments financiers, la souscription d’une branche d’assurance vie 21 ou 23[18], etc.
Mais en pratique, les intermédiaires (conseillers fiscaux, avocats fiscalistes, comptables, planificateurs successoraux, etc.) doivent souvent procéder à une analyse détaillée de la situation du client (conseil « sur mesure »), de sorte que dans de nombreux cas, on peut faire valoir que la construction ne relève pas du marqueur A.3.
En outre, il ne faut pas oublier que, même s’il est question d’un dispositif standardisé, le main benefit test doit toujours être rempli pour que le dispositif soit soumis à l’obligation de déclaration.
- Conversion en revenus non imposés ou moins imposés (marqueur B.2)
Le marqueur B.2 donnera sans aucun doute lieu à de nombreuses discussions dans la pratique. Il vise les “dispositifs dont l’effet est de convertir des revenus en actions, en dons ou en d’autres catégories de revenus qui sont moins imposés ou exemptés d’impôt“.
La FAQ indique qu’il doit y avoir une conversion d’une situation préexistante. En d’autres termes, il doit toujours y avoir une conversion d’une catégorie de revenus déjà existante vers une autre catégorie de revenus moins imposés (FAQ 4.2.4.1). À mon avis, cela signifie très concrètement que le marqueur ne s’applique pas si un contribuable choisit de partir de zéro ou de nulle part pour emprunter la voie la moins imposée. La FAQ indique également qu’il peut y avoir “conversion” si le contribuable fait usage d’un régime fiscal explicitement autorisé par la loi (FAQ 4.2.4.2).
Nous regrettons que le fisc ne s’attarde pas sur le marqueur B.2 et si limite à citer deux exemples « négatifs » qui n’entreraient pas dans le champ du marqueur :
Il nous semble donc important d’examiner de plus près certains cas.
Exemples négatifs: le marqueur B.2 ne s’applique pas
Exemple 1 : Une entreprise décide de rémunérer partiellement son cadre étranger nouvellement recruté en lui accordant des options sur actions (et donc pas uniquement une rémunération payée en espèces). Les stock-options bénéficient d’un régime fiscalement attractif (loi sur les stock-options du 26 mars 1999). Le recours à cette forme de rémunération alternative ne relève pas, à mon avis, du marqueur B.2 car il n’implique pas la conversion d’une catégorie de revenus pré-existante (davantage imposée) en une autre catégorie de revenus moins imposée.
Exemple 2 : Des parents font un don (soumis aux droits d’enregistrement à raison de 3 %) de 100.000 € à leur enfant adulte. L’enfant place cet argent dans des actions de capitalisation d’une SICAV luxembourgeoise échappant à l’article 19bis CIR, plutôt que dans des produits bancaires ordinaires (qui généreraient des revenus financiers imposés au titre de revenus mobiliers à 30%). L’enfant réalise une plus-value exonérée lors du rachat de ses actions (art. 21, 2°, CIR 92). Dans un tel cas, à mon avis, il n’est à aucun moment question de conversion d’une catégorie de revenus en une autre, moins imposée.
Exemples positifs : le marqueur B.2 s’applique
Exemple 1 : la pratique bien connue des “plus-values internes” pourrait à mon avis relever de ce marqueur. Supposons qu’un père de famille belge ait fondé une société il y a 30 ans. La société a accumulé de nombreuses réserves au fil des ans, de sorte que sa valeur de marché peut désormais être estimée à 10 millions d’euros. Il veut éviter la retenue à la source de 30 % sur les dividendes. Le pater familias peut créer une société holding luxembourgeoise (SOPARFI) à laquelle il vend les actions de la société (d’exploitation) belge à sa valeur de marché. La plus-value sur les actions est en principe exonérée d’impôt si elle se rattache à la gestion normale d’un patrimoine privé (art. 90, 9°, 1er tiret, CIR).
Les réserves de la société d’exploitation peuvent ensuite être rapatriées au pater familias sous diverses formes fiscalement intéressantes. Ainsi, les bénéfices de la société opérationnelle peuvent être distribués à la société holding en exonération d’impôt (exonération de retenue à la source en Belgique, exonération d’impôt des sociétés sur le dividende reçu chez la société holding luxembourgeoise). Par la suite, le pater familias peut se faire verser cet argent par la holding en exonération d’impôt, via un remboursement (partiel) de la créance en compte-courant.
Dans un tel cas, il pourrait être question à mon avis d’une conversion d’une catégorie de revenu déjà existante et plus taxée (dividende de la société opérationnelle taxable à 30%) en une catégorie de revenu exonérée (plus-value sur actions exonérée).
Exemple 2 : Prenons le cas d’une société belge (BelCo) ayant une créance sur une société française (FrenchCo). La créance génère des intérêts, qui sont soumis à l’impôt sur les sociétés en Belgique au taux de 25 %. BelCo détient également une participation de 100 % dans une filiale qui exerce des activités de financement intra-groupe (FinCo). FinCo est établie dans un pays de l’UE à faible taux d’imposition (la Bulgarie, avec un impôt sur les sociétés de 10 %). BelCo apporte une partie de la créance sur FrenchCo à FinCo. Au cours des années suivantes, FinCo verse des dividendes à BelCo, qui sont totalement exonérés en vertu du régime RDT. À mon avis, une telle construction pourrait également relever du marqueur B.2[19].
Toutefois, il ne faut pas oublier que, même s’il y avait une conversion en revenu exonéré ou moins imposé, le main benefit test devrait quand même être aussi rempli pour que le dispositif doive être déclaré.
> Marqueur C.1
Le marqueur C.1 concerne les dispositifs impliquant des paiements transfrontaliers déductibles entre deux ou plusieurs entreprises associées, sous certaines conditions.
Il s’agit notamment de la situation dans laquelle le paiement bénéficie d’un “traitement fiscal favorable” dans la juridiction où le bénéficiaire est résident fiscal. Pour une définition du régime fiscal favorable, la FAQ se réfère à l’action 5 du BEPS : “Un régime fiscal est considéré comme favorable s’il offre une forme de traitement préférentiel par rapport aux principes généraux de la fiscalité du pays concerné. Ce traitement préférentiel peut prendre différentes formes. Le régimfe doit être favorable par rapport aux principes fiscaux généraux de la juridiction concernée et non par rapport aux principes [dans] d’autres juridictions“.
Exemple : une société allemande paie des redevances à une société belge du groupe, qui bénéficie de la déduction pour les revenus d’innovation. Ce régime relève du marqueur C.1 car la déduction pour les revenus de l’innovation est un “régime fiscal favorable”.
>Marqueur E.2
Le marqueur E.2 vise les dispositifs impliquant le transfert d’actifs incorporels difficiles à évaluer. La FAQ se réfère aux lignes directrices de l’OCDE sur les prix de transfert (TPG 2017 §6) pour clarifier certains concepts (“intangible”, “actifs difficilement évaluables”…) (FAQ 4.5.4).
> Marqueur E.3
Le marqueur E.3 vise les dispositifs “impliquant un transfert transfrontalier au sein du groupe de fonctions, et/ou de risques et/ou d’actifs, si les bénéfices annuels estimés avant intérêts et impôts (EBIT) du ou des cédants, au cours de la période de trois ans suivant le transfert, sont inférieurs à 50% de l’EBIT annuel estimé de ce ou de ces cédants si le transfert n’avait pas eu lieu“.
Qu’est-ce qu’un “transfert intragroupe de fonctions, et/ou de risques, et/ou d’actifs” ? Selon la FAQ, il s’agit de la réorganisation d’entreprise, au sens du chapitre 9 des Principes directeurs de l’OCDE sur les prix de transfert (FAQ 4.5.5.4). La FAQ donne de nombreux exemples de réorganisations envisagées (par exemple, conversion d’un distributeur à part entière en distributeur à risque limité, regroupement de fonctions au sein d’une entité régionale, etc.) Selon la FAQ, les dispositifs suivants ne sont en principe pas concernés : un transfert du siège social d’une société belge vers un autre pays de l’UE (tout en maintenant un établissement stable en Belgique), une fusion transfrontalière en exemption d’impôts entre sociétés intra-européennes (tout en maintenant un établissement stable dans le pays de la société absorbée), la fermeture d’une filiale par laquelle l’actif net revient à l’actionnaire sans transfert préalable de fonctions et/ou de risques et/ou d’actifs.
À mon avis, un simple transfert d’actions ou de créances entre deux sociétés liées ne relève pas du marqueur E.3., car ces opérations ne rentrent pas dans la définition de réorganisation d’entreprise[20].
Denis-Emmanuel PHILIPPE (Avocat – Bloom Law – Chargé de cours à l’Université de Liège)
[1] Art. 166 LIR (loi luxembourgeoise concernant l’impôt sur le revenu). L’exemption s’applique notamment si la SOPARFI détient des actions d’une valeur d’acquisition supérieure à 1,2 million d’euros.
[2] En ce sens, voy. HRMC Guidance (au Royaume-Uni) sur les mandatory disclosure rules: “A collective investment vehicle is established in jurisdiction D. It is open to retail investors in any jurisdiction. The fact that investors in the fund could be from different jurisdictions does not inherently make this a cross-border arrangement as the location of the investors is not material to the establishment of the vehicle” (https://www.gov.uk/hmrc-internal-manuals/international-exchange-of-information/ieim630040).
Voy. également K. Marsoul, “Impact of DAC 6 on the asset management sector”, TBF/RFP 2020.12, 87.
[3] La FAQ ajoute que cette position n’est valable que dans la mesure où l’intermédiaire ne participe pas à d’autres actes qui font partie d’un ensemble plus vaste de démarches ou d’étapes qui, prises dans leur ensemble, peuvent être considérées comme transfrontières.
[4] Voy. Instructions publiées le 29 avril 2020 dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts BOI-CF-CPF-30-40-30-10CF, “Obligations des contribuables tendant à la prévention de la fraude – Déclaration de dispositifs transfrontières – Précisions sur les marqueurs généraux et spécifiques – Marqueurs généraux et spécifiques liés au critère de l’avantage principal”, n°. 170.
[5] La GAAR (General Anti Abuse Rule) de la directive ATAD s’applique si le dispositif est mis en place avec pour but principal, ou pour l’un des buts principaux, d’obtenir un avantage fiscal.
[6] La Belgique n’a pas jugé nécessaire de transposer la disposition générale anti-abus de l’ATAD (article 6 ATAD), car l’article 344, §1, CIR remplirait suffisamment les objectifs de l’article 6 ATAD.
[7] En vertu du PPT, un avantage prévu par le traité peut être refusé s’il apparaît que l’obtention de cet avantage est l’objectif principal (ou l’un des objectifs principaux) du dispositif.
[8] En ce sens, voy. également O. Hoor, The Mandatory Disclosure Regime in Luxembourg. A practical guide, Bertrange (Luxembourg), Legitech, 2020, p. 91.
[9] L’article 203, § 1, 7°, juncto article 203, § 2, alinéa 8, CIR 92 et l’article 266, alinéa 4, CIR 92 transposent la disposition anti-abus de la directive mères-filiales, qui ressemble beaucoup à la disposition anti-abus de la directive ATAD.
[10] Voir les instructions déjà citées du 29 avril 2020, n° 160 (https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/12276-PGP.html/identifiant=BOI-CF-CPF-30-40-10-10-20201125#1%C2%B0_Critere_de_l%E2%80%99avantage_pr_063).
[11] BMF, Entwurf eines Schreibens zur Anwendung der Vorschriften über die Pflicht zur Mitteilung grenzüberschreitender Steuergestaltungen, 14 juillet 2020 (https://www.bzst.de/SharedDocs/Kurzmeldungen/DE/2020_Kurzmeldungen/20200806_dac6_entwurf_bmf_schreiben.htm), Anlage, p. 71-72.
[12] HRMC Guidance sur les mandatory disclosure rules: https://www.gov.uk/hmrc-internal-manuals/international-exchange-of-information/ieim643020.
[13] Précisions concernant l’implémentation de la loi du 25 mars 2020 relative aux dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, 12 février 2021, https://impotsdirects.public.lu/dam-assets/fr/echanges-electroniques/dac6/Precisions-concernant-l-interpretation-de-la-loi-du-25-mars-2020-Version-PDF-20210212-.pdf
[14] À mon avis, cela impliquerait l’absence de l’élément objectif de l’”abus fiscal” au sens de l’article 344, §1, CIR.
[15] Voy. A cet égard : B. Goffaux, “Conséquences de la transposition de la Directive DAC 6 en droit interne belge dans les domaines de la gestion et de la transmission patrimoniale”, Rec. gén. enr. not. 2020.9 (n° 27.425), 420.
[16] Dans le même sens, voir l’exposé des motifs de la loi allemande transposant la directive DAC 6 (Bundestag
19/14685, 4 novembre 2019, p. 32).
[17] Voy. À cet égard : B. Goffaux, op.cit., pp. 418 – 419.
[18] Voy. À cet égard : B. Goffaux, op.cit., pp. 420 – 421.
[19] Dans le même sens, voir l’exposé des motifs de la loi allemande transposant le DAC 6 (Bundestag 19/14685, 4 novembre 2019, p. 34). Pour plus de précisions : D.-E. Philippe et E. Yüksel, “Mandatory Disclosure of Aggressive Cross-Border Tax Planning Arrangements : Implementation of DAC 6 in Belgium”, European Taxation, 2020.4, 125-126.
[20] En ce sens, voy. également O. Hoor, op.cit., p. 76.
Source : Bloom, 06/04/2021